Partir en Asie du Sud-Est pour se retrouver

Après une rupture difficile, Tania Jiménez a vidé son appartement et tout laissé en plan pour s’envoler vers l’Asie du Sud-Est. Pendant six mois, elle a vécu en nomade et, surtout, a fait un grand voyage intérieur. Récit, en mots et en images, quelques jours après son retour à YUL, du soleil plein les yeux et un peu de sable entre les orteils.

 

Propos recueillis par MJ Desmarais   PHOTOS TANIA JIMÉNEZ



 

Qui es-tu, Tania?
J’ai 42 ans, I’m a free spirit, je n’ai pas d’enfants, de copain, de maison. Je suis très curieuse, j’aime explorer de nouvelles choses. Mexicaine d’origine et Montréalaise d’adoption, je suis arrivée ici il y a 17 ans. Je suis designer graphique et après ma maîtrise en communication à l’UQAM, j’ai suivi une formation spécialisée en innovation sociale à New York. Je travaille comme directrice artistique et j’étais associée au magazine Caribou jusqu’à tout récemment. J’ai aussi lancé il y a quelques années la Centrale Culinaire, un espace de co-working pour aider les entrepreneurs en cuisine à démarrer dans le domaine. C’était super excitant, mais c’était trop prenant et pas assez payant pour moi. Alors j’ai vendu mon entreprise pour me consacrer au design.

 

Pourquoi es-tu partie en Asie du Sud-Est?
J’avais ce voyage en tête depuis deux ou trois ans. L’élément déclencheur, c’est ma séparation après 10 ans de vie commune. Quand c’est arrivé, j’ai perdu tous mes repères. C’est difficile de cesser de tout partager avec quelqu’un, de se retrouver seule du jour au lendemain. J’ai décidé de quitter mon appartement, j’en ai cherché un nouveau pendant deux ou trois semaines et j’ai vite réalisé que je ne me sentirais nulle part chez moi. J’étais déracinée. J’étais complètement vide. C’est alors que j’ai entreposé mes effets personnels et décidé de quitter Montréal.
Je serais partie tout de suite, mais j’étais débordée de travail, alors j’ai dû attendre quelques semaines pour tout boucler. Comme je n’avais pas la tête à faire des recherches, je suis allée voir une amie propriétaire d’une agence de voyages qui connaît bien l’Asie du Sud-Est. Elle m’a guidée en fonction du moment où j’arriverais parce qu’il faut toujours prendre en considération la saison des pluies. Je n’ai rien planifié d’autre et je suis partie pour Bali avec une seule nuit de bookée dans un Airbnb, c’est tout. Il m’est passé par la tête de ne rien réserver parce que j’arrivais tôt le matin, mais je me suis dit que je voudrais prendre une douche après un voyage de 24 heures!

 

Dans l’avion, tu étais comment?
J’adore prendre l’avion et le décollage est un moment symbolique pour moi, ça veut dire que JE SUIS PARTIE et là, je décroche tout de suite. Je venais de passer six mois difficiles, très déprimants, entre le moment où mon chum m’a dit qu’il ne savait plus s’il m’aimait encore ou pas, le moment où on a rompu et le jour de mon départ. Je ne savais pas ce qui allait m’arriver, mais je n’avais aucune angoisse, aucune peur. Un gros poids s’est enlevé de mes épaules. J’étais légère et curieuse. J’avais juste envie d’être ailleurs. C’était très beau.
Je suis rêveuse de nature. Dans la vie de tous les jours, seule ou en couple, on se retient souvent de rêver, on se dit que c’est irréaliste. Mais il ne faut pas arrêter! En voyage, tu peux te donner le droit de rêver, tu peux te laisser aller parce que tout à coup rien n’est impossible. C’est ce que j’ai ressenti dans l’avion.

Voyager seule, tu aimes?
Oui! Ce n’était pas ma première expérience – j’ai toujours aimé voyager seule et il m’arrivait même de partir lorsque j’étais en couple. Je ne peux pas rester longtemps sans bouger, ça me met de mauvaise humeur. Je travaille pour voyager, pas pour accumuler des choses matérielles. J’ai voulu partir seule parce que j’avais perdu mes repères. Il fallait que je me retrouve, que je fasse des choses pour moi, que je me fasse plaisir. Comme tout le monde, j’étais prise dans la routine. Tu es confortable, tu ne te poses pas trop de questions, tu ne fais pas un gros travail d’introspection, tu tiens les choses pour acquises. Mais il y a des moments charnières qui te forcent à remettre tout ça en question. Pour moi, c’était d’être seule. C’était mon intuition d’aller vers l’inconnu plutôt que de continuer à «pleurer ma vie» à Montréal.

 

Est-ce que ce voyage t’a changée?
Beaucoup. Je suis plus zen, plus calme. De nature, je suis quelqu’un de très impulsif. Quand je me fâche, c’est comme si je brûlais de l’intérieur. Quand ça arrive, j’explose comme un volcan. J’ai le tempérament latin! Mais quand je suis heureuse, je suis euphorique. Maintenant, je suis plus modérée. Je vis mes émotions positives aussi profondément, mais je ne me fâche plus aussi facilement. J’ai appris à relativiser les choses, à respirer! J’ai mis du temps à arriver là. J’ai beaucoup travaillé sur moi, j’ai réfléchi, j’ai travaillé ma patience. En Asie du Sud-Est, les gens sont souriants, c’est leur culture. Ils ne s’impatientent pas, ou peu. Ça ne sert à rien de s’énerver dans des lieux où le chaos est constamment présent, où tu ne sais pas si ton bateau va arriver ou pas. Là bas, tu peux contrôler des aspects de ton voyage, mais tu ne peux pas organiser chaque aspect de la vie. Ça aide à lâcher prise. J’ai aussi vécu des moments difficiles. Parce que ce n’est pas toujours évident d’être seule, loin de tout le monde que tu aimes. Parfois tu pleures dans ton lit parce que tu as besoin d’un câlin, mais il n’y a personne pour te le donner.
Chez nous, on est toujours dans la performance, la production. Tu veux voir une amie, c’est mardi entre 14h et 16h, sinon pas le temps. Là-bas j’ai perdu les repères du temps, des jours, des dates, de tout ça. Je voyage vraiment slow et je ne suis pas du genre à essayer de voir tous les sites touristiques. Mon style, c’est plutôt de trouver un endroit qui me plaît, de m’installer pour une période indéterminée en trouvant une habitation confortable, propre et pas chère – avec Wi-Fi, c’est non négociable.

 

Parle-nous de ta vie de digital nomad…
Pour garder le contact et, ne le cachons pas, pour continuer à avoir des revenus, je travaillais à distance 12 à 15 heures par semaine. J’ai conservé quelques clients avec lesquels je pouvais réaliser des mandats à distance. Ma routine était très relax: yoga, déjeuner, courriels, quelques heures de travail, plage, promenade, retour au travail si j’avais des choses à terminer et puis souper, seule ou avec d’autres voyageurs. Le décalage m’a bien servie. J’étais en lien avec Catherine, ma coordonnatrice de projets à Montréal, qui m’envoyait des demandes en soirée, dont je prenais connaissance en me levant le matin. Pendant qu’elle dormait, je réalisais le travail, et quand elle se réveillait à Montréal tout était fait.
Mon rêve, c’est de devenir une nomade à plus long terme, de partir avec un aller simple et de m’établir un mois dans une île, puis deux mois ailleurs et ainsi de suite… sans plan pour revenir. On peut faire ça avec la technologie. J’ai rencontré tout plein de designers, de programmeurs, de blogueurs, qui travaillent n’importe où sur la route tout en ayant des clients à Londres ou à Madrid. Ils s’établissent là où ils en ont envie, il leur suffit d’avoir du Wi-Fi – étonnamment, en Asie, on est souvent mieux desservis qu’ici, même si la connexion n’est pas toujours parfaite.
Les nomades sont des idéalistes, des esprits libres, ils n’ont pas peur de l’inconnu, ils sont plus détachés des choses matérielles. La majorité d’eux ont 25-35 ans et ils s’offrent le trip d’une vie avec l’intention de revenir un jour à la normale. Mais j’ai aussi rencontré des gens de plus de 40 ans qui ont connu le succès professionnel, qui ont fait de l’argent, qui ont brassé des affaires, qui se sont payé la maison, le chalet, les autos, et qui se sont brûlés. Ils disent fuck that, je laisse tout et je pars! En ce qui me concerne, dans tous mes voyages précédents, j’ai toujours eu envie de revenir chez nous, à Montréal. Mais cette fois-ci, c’était différent: je devais partir quatre mois; j’ai prolongé à six mois et je n’ai jamais eu envie de revenir. Si je suis rentrée, c’est parce que j’avais des défis professionnels à régler. Je vais rester quelques mois, faire du networking, rencontrer des clients, des agences, pour organiser ma vie professionnelle à distance.

 

Pourquoi avoir suivi une formation de professeur de yoga en Inde?
Quand le bordel émotionnel a commencé l’an dernier, intuitivement, je me suis mise à faire du yoga et de la méditation tous les jours. Même si j’étais triste, même si je n’avais pas dormi, même si je n’avais pas envie de manger, le yoga me permettait d’être en paix. En voyage, j’ai continué et j’ai rencontré des personnes inspirantes pour qui le yoga est une façon de vivre, un état d’esprit. Rien à voir avec ces gens qui s’instagrament en faisant des poses impossibles sur la plage dans des leggings à 100$. J’ai décidé de suivre une formation, d’abord pour approfondir ma démarche personnelle et ensuite, de façon plus concrète, pour multiplier éventuellement mes sources de revenus. Dans mon rêve nomade, je n’envisage pas de travailler de façon sédentaire devant un ordinateur et je veux combiner l’enseignement du yoga au design. Une façon pour moi d’être productive et créative.
Je me suis donc rendue dans une école à Rishikesh, ville sacrée et berceau du yoga. Le beat de mon voyage a complètement changé. Nous étions six: une Espagnole à la vie très organisée et deux Coréens qui ne se connaissaient pas, une jeune femme qui n’avait jamais fait de yoga de sa vie et qui voulait devenir moine, et un grand voyageur qui avait fait le chemin de Compostelle. Pendant un mois, nous avons cohabité, mangé, étudié ensemble et pratiqué le yoga de façon intense, de 6h à 19h. J’ai adoré ce lieu où tout le monde – des Occidentaux surtout – est en quête spirituelle. C’était ma première expérience avec le chaos de l’Inde…  Tu sors de la sérénité de ton école de yoga pour aller dans la rue et tu es assaillie par les couleurs criardes des immeubles, des saris, l’odeur exquise de la bouffe de rue, la puanteur des poubelles éventrées et des excréments, tu croises une vache, un singe, tu te fais bousculer par des enfants qui courent et tu te fais beeper par un scooter où sont entassées cinq personnes. Il y a tellement de contrastes, tu développes un sentiment d’amour-haine, mais tu as quand même envie d’y retourner. À la fin de ma formation, je suis allée à Delhi, où j’ai loué un appartement dans un quartier tranquille pour terminer mon voyage. Et puis la plage m’a manqué et j’ai décidé de retourner en Thaïlande, où j’ai fait la rencontre d’un amour impossible.

 

On attendait que tu nous parles de ta vie amoureuse, justement…
J’ai eu deux histoires d’«amour». On va commencer par la première. Je suis partie de Montréal avec un cœur cassé, un tout petit cœur, sec et vide. Après un mois et demi, j’ai écrit à mon ex pour vider mon sac. J’étais pleine de rage, je brûlais de l’intérieur, je lui reprochais beaucoup de choses, mais surtout de m’avoir fait de la peine. J’ai mis tout ça en mots, pauvre homme, et il m’a dit: «OK, t’as le droit.» J’ai pleuré toute la nuit. Le lendemain, je débarquais aux Spice Islands, dans les Moluques. Dès mon arrivée, je me sentais plus légère, mon énergie avait changé et c’est là que j’ai rencontré V., un Autrichien de 34 ans. Un cas de serendipity*. On a flirté pendant deux ou trois jours, on est allés souper, on s’est embrassés, on a passé la nuit ensemble.
En voyage, tu n’as pas de filtre, tu es authentique, tu es spontanée, tu es tellement toi-même. Si tu veux être avec quelqu’un, tu es avec quelqu’un. Si tu veux partir, tu pars. Nous sommes devenus immédiatement intimes. À Montréal, ça m’aurait pris six mois de dating avant d’en arriver là. On a été ensemble 24 heures sur 24 dans ces îles paradisiaques où il n’y a pas de connexion cellulaire, pas de touristes, et où nous étions seuls parmi des Indonésiens qui ne parlaient pas anglais. C’était beau et intense, et on savait très bien que ça allait se terminer, qu’on avait 10 jours maximum ensemble. Je devais sortir du pays en raison de mon visa, et lui avait booké un camp de surf depuis plusieurs mois… On a donc vécu le moment présent à fond. J’ai très bien voyagé avec lui. On a partagé nos économies, notre huile de noix de coco, notre lit, on s’est raconté nos histoires et puis on est partis chacun de notre côté. On a vécu quelque chose de beau qui restera toujours là.
Pendant ce voyage j’ai rencontré des gens intéressants, des hommes et des femmes qui vont demeurer des amis. J’ai flirté avec d’autres hommes, mais après un souper, un baiser, c’était ciao bye. Le problème avec mes dates, c’est que j’ai l’air plus jeune et que j’attire souvent les gars de 30-35 ans qui vont bientôt vivre leur crise de la trentaine. Moi, je sais où je m’en vais dans la vie. Mais il faut croire que les hommes de mon âge ne voyagent pas en sac à dos! Et puis j’ai croisé C.
Mon histoire avec V. a été finalement une sorte de préambule à ce qui allait arriver avec C. C’est à cause de lui que je me suis donné le droit de vivre ça… C est le plus beau roux de ce monde, un Hollandais de 43 ans. Un homme rationnel et spirituel, d’une grande maturité émotionnelle, qui a travaillé sur lui, qui sait ce qu’il veut, qui n’a pas de filtre et qui te dit les choses comme il les sent. Un vrai nomade, qui fait le tour du monde en vélo, parfois en solo, parfois en groupe, pour des causes humanitaires et sociales. Je l’ai rencontré à la plage, à Koh Chang. On a passé huit heures à se parler, se baigner, on a soupé ensemble, on ne voulait plus se quitter, mais c’était un gentleman et il m’a raccompagnée en scooter. Après, je lui ai demandé: «Tu fais quoi demain?» et il a répondu: «Chillin’ out with you.» Et quand je lui ai demandé combien de temps il restait dans l’île, il m’a répondu: «Depends on you maybe.» On a décidé sur un coup de tête de s’installer dans un bungalow sur la plage. J’étais insouciante, naïve, curieuse, peut-être folle, mais j’ai décidé de lui faire confiance… comme tu le fais souvent en voyage, en acceptant un lift sur un scooter, sans casque, sur une route escarpée.
Dans la vraie vie, dans la réalité hors du paradis, je ne crois pas que ça aurait pu fonctionner à long terme avec V. Mais avec C. c’était autre chose. On a passé sept jours tellement beaux, tellement simples, tellement magiques, où nous avons vécu une connexion tellement intime, à la fois émotionnelle, intellectuelle et physique. Je partais, il restait. On va probablement se revoir et probablement jamais. On ne sait pas. Je lui ai dit: «I love the amazing human that you are», mais je ne me suis pas permis de lui dire: «Je t’aime.» Après tout, je quittais le paradis dans quelques heures.

 

Tu es revenue il y a quelques jours à peine. Comment vas-tu?
En partant, j’ai écrit à C.: You woke up my heart from its numbness et c’est vrai que c’est le plus beau cadeau qu’il m’ait fait. Il m’a montré que je suis prête à tomber en amour, que je peux avoir des sentiments à nouveau pour quelqu’un. J’ai vécu cette expérience avec le plus beau gars, le plus gentil, le plus gentleman et le plus caring.
Il y a un peu plus d’un an, le 30 mars, jour de mon anniversaire, mon ex m’a dit qu’il ne savait plus s’il m’aimait ou pas et tout a basculé. J’ai souhaité très fort m’endormir et me réveiller un an plus tard. Mon dernier anniversaire, je l’ai passé avec C. dans un bungalow face à la mer, en Thaïlande. Je suis tellement heureuse d’avoir vécu cette année-là. Après six mois gris, tristes, douloureux, j’ai vécu six mois pleins de couleurs, intenses, au paradis. J’ai fait de la plongée, exploré des volcans, admiré le coucher de soleil presque tous les jours, passé d’innombrables heures dans l’océan, découvert des lieux merveilleux et approfondi ma pratique du yoga… Bref, j’ai écouté mon cœur.
Je sais ce que je veux, de qui je veux m’entourer, je me suis retrouvée. Aujourd’hui je ne peux pas imaginer ma vie si je n’avais pas fait ce voyage-là.
Je suis vraiment contente de n’avoir pas dormi pendant un an!

* Serendipity: en anglais, ce joli mot décrit les heureux hasards qui mènent à de belles choses ou des choses vraiment agréables qu’on n’attendait pas. En français, on n’utilise sérendipité que dans un contexte scientifique pour décrire des découvertes basées sur la chance.

Le circuit de Tania
Dans l’ordre!

L’arrivée
Indonésie: Sanur, Nusa Lembongan, Ubud, Sidemen, Gili Air, Lombok.

Sortie pour cause de visa
Singapour.

Randonnée dans un volcan et rencontre avec V.
Indonésie: Yogyakarta, Solo, Surabaya, Ambon, Banda Neira, Seram, Saparua.

Visa expiré… encore!
Malaisie: Kuala Lumpur et Penang.

Visite de son meilleur ami
Thaïlande: Bangkok.
Indonésie: Seminyak, Gili Air, Uluwatu, Canggu.

Découvrir un nouveau pays
Thaïlande: Chiang Mai, Pai, Ayutthaya, Ao Nang, Koh Lanta.

Retraite de yoga
Inde: Rishikesh, Delhi.

Fin du voyage, C.
Thaïlande: Bangkok, Koh Samet, Koh Chang.

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Pour suivre les aventures de voyage de Tania en images
Instagram: taniaontheroad

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