Profession: créatrice culinaire, avec Julie Zyromski

Elle aime la cuisine végane (elle est la coauteure d’un livre sur le sujet), le granola (pas étonnant, elle a participé à la fondation d’Oatbox), le bon vin et, ça va de soi, l’Italie, où elle a étudié à l’université des sciences gastronomiques (oui, ça existe), une institution soutenue par le mouvement Slow Food. Portrait d’une gourmande qui vit de sa passion.
propos recueillis par MJ Desmarais  PHOTOS CHLOÉ CRANE-LEROUX



D’où te vient cet intérêt pour la cuisine?
De mes parents, qui ont commencé à s’intéresser sérieusement à la gastronomie et aux vins assez tard dans leur vie. Comme je suis beaucoup plus jeune que mes frères, c’est moi qu’ils ont trimbalée partout – à Paris, à Bordeaux, en Espagne, en Italie. Leurs voyages étaient orientés sur leurs intérêts, et j’ai suivi! Mon père est un bon ami de Champlain Charest et, pendant mon adolescence, on a fréquenté son restaurant tous les vendredis. J’ai bu des trucs assez exceptionnels à un très jeune âge. Pour mon sweet sixteen, j’ai reçu un jéroboam de Château Lafite! Pas tellement normal! Après, quand j’ai quitté Nominingue, où on habitait, pour aller faire mon cégep à Montréal, j’ai découvert le multiculturalisme gastronomique de la ville, qui est extraordinaire, et qui m’a apporté une autre dimension.

C’était évident pour toi de faire carrière dans ce domaine?
Non! Je savais que je ne voulais pas devenir chef, je savais que je ne voulais pas devenir œnologue, mais je ne savais pas du tout dans quel domaine me diriger! J’ai fait un BAA en administration à HEC Montréal un peu par hasard, probablement parce que tous mes amis étaient dans ce programme. Et puis, en faisant des recherches, je suis tombée sur l’université des sciences gastronomiques, en Italie, le seul programme au monde totalement dédié à la culture culinaire. On y explore tous les aspects de l’alimentation, de la production à l’histoire en passant par l’anthropologie, le commerce international, l’œnologie et les cuisines régionales. L’université n’accueille que 200 élèves par année. Comme je ne voulais pas que ma candidature soit refusée, j’ai fini mon bac et je me suis inscrite au programme de cuisine italienne à l’ITHQ.

Étudier la gastronomie à la Università di Scienze Gastronomiche, c’est le rêve!
Trois semaines après avoir été acceptée, je suis partie faire ma maîtrise en communication de la haute gastronomie. Les élèves viennent de partout dans le monde, les professeurs aussi. Dans mon programme de maîtrise, nous étions 26, de 19 nationalités différentes. Ça ouvre tes perspectives! Chaque programme académique inclut d’ailleurs six voyages d’études d’une semaine où l’on rencontre des producteurs, des vignerons, des agriculteurs et des professeurs de chaque région. Je suis allée en Turquie et aux Pays-Bas, et j’ai séjourné dans quatre régions de l’Italie pour me familiariser avec leur culture régionale: la Ligurie, la Vénétie, le Latium et les Pouilles. À l’université, les cours ont lieu sur le campus de Pollenzo, dans le Piémont, où a résidé le dernier roi d’Italie avant la fin de la dynastie. Les murs sont empreints d’histoire, c’est le moins qu’on puisse dire! La cafétéria du campus est extraordinaire: chaque année, 25 chefs – et 50 étoiles Michelin – nous préparent tour à tour des repas à 5 euros. Sur les lieux, il y a aussi la Banca del Vino, un centre de recherche sur les vins italiens, qui est appuyé par le mouvement Slowine. 

Vivre là-bas, c’était comment?
J’habitais à Bra, une petite ville universitaire de 20000 habitants. Je logeais dans un immense appartement avec trois autres étudiants, et je m’ennuie encore de ce lieu magique, avec de très hauts plafonds et d’immenses fenêtres qui donnaient sur les Alpes et les vignobles. Ça coûtait 175 euros par mois et on était à deux pas du Barolo, de ses vins et de ses produits remarquables, comme les noisettes ou les truffes. J’ai adoré vivre dans le Piémont, et c’est ma région préférée d’Italie, un lieu pas très touristique, peu connu des voyageurs. Je dis à tout le monde d’aller y passer au moins une semaine!

Comment s’est passé le retour à Montréal?
Après ma maîtrise, je suis restée en Italie quelques mois pour travailler dans un vignoble du Barolo. Mon père avait planté de la vigne deux ans plus tôt dans les Laurentides et j’avais envie de me familiariser avec les vendanges. J’y suis restée de septembre à décembre. En arrivant à Montréal, j’ai fait une petite déprime – pas facile, de revenir dans le real life. J’ai travaillé pour un distributeur alimentaire et j’ai vite réalisé que ça ne m’intéressait pas, alors ça n’a pas duré longtemps. J’ai ensuite ouvert un petit bistrot de quartier, Pierre et Pierre, où j’ai travaillé en cuisine pendant deux ans. Là, j’ai réalisé que tout ce qu’on disait des restos était vrai: c’est tough, plus que tough. Et que le métier de chef n’est pas du tout valorisé. Pour beaucoup de gens, on est la personne qui leur fait à manger, c’est tout. La très grande majorité des chefs travaillent dans l’anonymat le plus total. Je ne le referai pas.

Comment le projet Oatbox est-il arrivé dans ta vie?
Un soir, Marc-Antoine et Pierre-Luc, des amis d’université, sont passés au restaurant, des sacs de granolas en poche, pour me demander mon avis. Ma première réaction? «Bof, ouais, du granola qu’on se fait livrer par abonnement…» On a eu une rencontre le lendemain. Deux mois plus tard, Oatbox était lancé, et on a eu le soutien de Montréal inc. et de Postes Canada. Ça fait trois ans et demi que je suis à temps plein avec notre petite équipe qui travaille fort et qui n’arrête pas d’apprendre, en business comme en cuisine.

Tu dois être une surdouée des petits-déjeuners…
C’est ma spécialité, évidemment! Chez Oatbox, je développe des granolas avec des produits aussi locaux que possible. Notre avoine bio provient du Saguenay, on travaille avec du sirop d’érable local, du Miel d’Anicet, des bleuets séchés et des canneberges d’ici. Mais pour la noix de coco, sorry, il faut aller ailleurs! Je développe sans cesse de nouveaux produits et je travaille en ce moment sur des granolas salés qu’on peut déguster dans des yogourts, en garniture sur des œufs brouillés ou qu’on peut tout simplement manger en grignotis.

Tu n’es pas végane et tu as créé les recettes d’un livre consacré à cette cuisine, explique-nous ça!
Avant de virer gastronomes, mes parents ont été végétariens pendant huit ans, alors j’ai pris avec eux l’habitude de manger très peu de viande. Chez Oatbox, j’ai commencé à travailler avec la photographe Chloé Crane-Leroux, qui est végane et avec qui  j’ai tout de suite cliqué. Les journées de shootings, plutôt que de commander n’importe quoi au restaurant, je cuisinais pour tout le monde et, par respect pour elle, j’ai commencé à créer des petits lunchs véganes. Je ne connaissais pas ça du tout et je me suis prise au jeu. J’ai développé des recettes vraiment intéressantes et puis le projet du livre est arrivé avec Chloé et sa mère, Trudy. Comme beaucoup de gens, je me suis mise à la cuisine végane pour accommoder d’autres personnes. En ce moment, on peut dire que je suis végane à temps partiel, surtout la semaine. Le week-end, je mange de tout!

 

Tes six secrets pour (bien) cuisiner végane

Manger à la maison
C’est très facile de mal manger quand on est végane, surtout dans les restaurants, où les plats ont tendance à être trop gras, trop salés, trop sucrés, comme dans la malbouffe.

Chercher l’équilibre
Plutôt que de compenser l’absence de produits animaux avec des ingrédients qui vont à l’encontre de la saine cuisine, il faut trouver la juste portion d’ingrédients, le bon dosage de saveurs. C’est plus difficile qu’on le pense!

Penser épices
Quand on ne peut pas faire suer ses oignons avec de la pancetta, il faut relever les saveurs avec des mélanges aromatiques. En créant des recettes véganes, notamment pour le livre, j’ai développé plusieurs mélanges d’épices. C’est pourquoi mes recettes, qui sont faciles à réaliser, sont tout de même plutôt longues!

Miser sur les légumineuses
On cuisine de préférence les légumineuses sèches, qu’on doit souvent faire tremper, mais les légumineuses en boîte conviennent aussi. La proportion, dans une recette, est importante: il faut en mettre suffisamment pour que le plat soit nourrissant, mais si on en met trop on tombe dans la lourdeur.

Manger local
Les plats véganes sont bien plus savoureux si l’on travaille avec des fruits et légumes de première fraîcheur, locaux et de saison. Meilleurs ils sont, moins on mange de féculents… Et c’est encore mieux si on les fait pousser ou si on va au marché. Quand la saison est passée, on peut aller aux fermes Luffa chercher du kale, des herbes vraiment fraîches, en tout temps.

Apprivoiser de nouveaux ingrédients
Il y a bien sûr le tofu, le tempeh, et aussi la levure alimentaire, qui est pour moi la découverte du siècle. Aujourd’hui, j’en mets partout, même dans mes recettes non véganes.

Et tes cinq secrets pour (bien) cuisiner à l’italienne

Prendre son temps
Ta sauce sera meilleure si tu fais suer tes oignons pendant 30 minutes à feu hyper bas avec beaucoup d’huile d’olive.

Bien choisir les ingrédients
C’est la base. S’approvisionner dans les marchés publics ou chez les meilleurs fournisseurs, comme Milano. Ne pas lésiner et choisir des tomates en boîtes, de l’huile d’olive ou du parmesan de la meilleure qualité possible.

Garder un peu d’eau de cuisson des pâtes
Au moment de les égoutter, on réserve une tasse de cette eau de cuisson, qu’on utilisera pour délier la sauce. C’est essentiel.

Ne pas improviser
Les recettes classiques, traditionnelles, souvent très simples, sont les meilleures. Elles ont été testées des milliers de fois. Chaque élément est là pour une raison, alors on ne change rien.

Ne pas jeter les croûtes de Parmesan
On les garde pour parfumer une minestrone, une sauce…

Les coups de cœur de Julie

Une référence en cuisine
Les cahiers de l’ITHQ, qui devraient être accessibles au public!

Ton livre de recettes préféré
TOUS les livres de José di Stasio. Depuis toujours, c’est mon idole. Vraiment. Toutes ses recettes que j’ai cuisinées – au moins 50% de son répertoire – sont absolument parfaites. Et je suis certaine que celles que je n’ai pas encore testées le sont aussi.

D’autres choix
La cuillère d’argent, parce que c’est la bible de la cuisine italienne.
L’encyclopédie de la cuisine de Jehane Benoit, parce que toutes les bases sont là! Et quand tu connais tes bases, tu peux improviser.
Soup of the Day de Williams Sonoma, parce qu’on y retrouve 365 recettes de soupe, une pour chaque journée de l’année!
Et les livres de desserts de Donna Hay!

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Pour suivre Julie
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Pour en savoir plus sur Oatbox
Instagram @Oatbox
Oatbox.com

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