Une conversation gourmande avec Marcus Samuelsson

Entre l’ouverture du restaurant Marcus (son quinzième si on sait compter) au nouvel hôtel Four Seasons et sa classe de maître à C2 Montréal, séance de questions-réponses avec le grand chef nomade au parcours si inspirant.
Propos recueillis par MJ Desmarais  Photos Alexandre Champagne



Né en Éthiopie, adopté avec sa sœur par un couple de Suédois lorsque sa mère décède en pleine guerre civile des suites d’une tuberculose, Kassahun Tsegie change de nom, de continent et de vie à l’âge de trois ans. Devenu Marcus Samuelsson, il passe une jeunesse tranquille dans une petite ville de Suède et apprend les rudiments de la cuisine avec sa grand-mère Helga, une femme issue d’un milieu modeste qui cultivait son jardin, créait tout de ses propres mains – le pain, les conserves, les confitures – et ne jetait jamais quoi que ce soit. Il passe avec elle des moments marquants qui le poussent à s’inscrire à l’Institut culinaire de Göteborg, à suivre des formations en Suisse et en Autriche et à s’établir à New York. Il fait ses débuts au restaurant Aquavit, grimpe les échelons et, à 24 ans, devient le plus jeune chef à recevoir trois étoiles du New York Times. Aujourd’hui père de famille, Marcus Samuelsson a remporté de nombreux prix, dirige un petit empire de restaurants et a plusieurs best-sellers à son actif, dont l’autobiographie Yes, Chef et le Red Rooster Cookbook, qui nous refile les recettes de son restaurant soul de Harlem.

Pourquoi avoir choisi le Québec?
Ça fait longtemps que je rêve d’y ouvrir un restaurant. Il faut dire que je connais bien Montréal: enfant, j’ai souvent rendu visite à des cousins qui habitaient un peu à l’extérieur de la ville. Et puis il y a l’incroyable scène artistique, les festivals de cuisine et de musique. Tout ça me ressemble. J’ai très hâte d’en profiter et de rencontrer les gens d’ici.

Est-ce qu’il y a un fil conducteur entre la cuisine suédoise et la cuisine québécoise?
Bien sûr! Au Québec comme en Suède, on utilise de nombreuses techniques de conservation que j’aime beaucoup comme la saumure, les marinades et le fumage traditionnel des poissons.

Que pensez-vous de nos produits locaux?
Ils sont frais, savoureux. J’aime en particulier les crevettes de Matane, le crabe des neiges, les légumes de mer, le sirop d’érable et le sumac – produit en Gaspésie – qui sont exceptionnels et que je vais certainement utiliser régulièrement au restaurant. 

Votre position sur l’alimentation durable
J’ai passé beaucoup de temps dans un petit village de pêche suédois où l’alimentation durable est une réalité de tous les jours. C’est donc tout naturel pour moi d’appliquer ce principe dans mes restaurants. À Montréal comme ailleurs, nous privilégions la saisonnalité et les produits locaux et nous évaluons toujours l’empreinte écoénergétique des aliments en fonction du chemin qu’ils ont parcouru. Pour les poissons et fruits de mer, nous privilégions les produits locaux – au Québec, il y en a d’excellents. Mon approche est d’acheter les aliments et de les cuisiner en fonction de ce que j’appelle un «prisme spirituel», avec pour objectif de respecter l’environnement et de causer le moins de dommage possible.

 

Qui vous a le plus influencé comme chef?
J’ai eu la chance incroyable d’avoir plusieurs mentors. D’abord et avant tout, ma grand-mère Helga, qui m’a tout montré. C’est grâce à elle que j’ai compris la notion de terroir et que je suis devenu qui je suis. Lorsque je suis arrivé aux États-Unis, des chefs comme Charlie Trotter et Leah Chase, qui a aujourd’hui 95 ans, m’ont énormément inspiré. Maintenant, c’est la nouvelle génération que je surveille de près, comme Daniela Soto-Innes du restaurant mexicain Cosme, à New York – rien de plus excitant que de découvrir les nouveaux talents!

Le succès vous est venu très jeune. Comment avez-vous réagi?
Lorsque le New York Times m’a décerné trois étoiles, je n’ai pas trop compris ce qui m’arrivait, alors j’ai tout simplement continué à travailler, à évoluer, à m’améliorer. Des années ont passé avant que je ne réalise jusqu’à quel point c’était important – pas les étoiles, non, mais le fait qu’on ait reconnu la cuisine scandinave et apprécié un menu végétarien de douze services dans les années 1990. Il suffit de regarder en arrière pour constater jusqu’à quel point la cuisine est en constante évolution. C’est pour ça que je regarde en avant!

 

La terrasse si invitante du restaurant Marcus, au nouveau Four Seasons de Montréal. Photo: Marie-Ève Campbell.

Le restaurant Marcus offre un stage à un membre de l’organisme DESTA, qui vient en aide aux jeunes noirs de la région de Montréal désirant parfaire leur éducation. Bravo!
Je suis très fier de m’impliquer avec cette belle communauté et je suis certain que c’est le début d’une relation à long terme! Encourager la diversité, c’est incontournable pour moi. Dans tous mes restaurants, je tiens d’ailleurs à ce que la culture locale soit bien représentée, tant du côté du personnel que de la musique, du design ou de l’art.

Et aussi…

Trois mots pour décrire votre cuisine
Durable. Délicieuse. Centrée autour des produits de la mer.

Un pays que vous aimez visiter pour bien manger
J’adore les nouilles ramen et le sushi. Lorsque je m’envole pour le Japon, je passe des heures dans l’avion à imaginer où j’irai manger! 

Nommez les ingrédients dont vous ne pouvez vous passer à la maison
La sauce de poisson, un mélange d’huile d’olive et d’huile d’argan et le berbéré.

Au restaurant?
C’est le berbéré!

Le berbéré, c’est le mélange d’épices indispensable de la cuisine éthiopienne, facile à réaliser à la maison. Et, oui, nous avons la recette de Macus Samuelsson ici.

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