L’extrait: Colette le dit avec des fleurs (249 mots)

Tiré de Gigi, par la grande Colette, celle qui fait fleurir les mots pour décrire la nature.
PHOTO afrah



Tous, nous tressaillons lorsqu’une rose, en se défaisant dans une chambre tiède, abandonne un de ses pétales en conque, l’envoie voguer, reflété, sur un marbre lisse. Le son de sa chute, très bas, distinct, est comme une syllabe du silence et suffit à émouvoir un poète. La pivoine se défleurit d’un coup, délie au pied du vase une roue de pétales. Mais je n’ai pas de goût pour les spectacles et les symboles d’une gracieuse mort. Parlez-moi au contraire du soupir victorieux des iris en travail, de l’arum qui grince en déroulant son cornet, du gros pavot écarlate qui force ses sépales verts un peu poilus avec un petit «cloc», puis se hâte d’étirer sa soie rouge sous la poussée de la capsule porte-graines, chevelure d’étamines bleues! Le fuchsia non plus n’est pas muet. Son bouton rougeaud ne divise pas ses quatre contrevents, ne les relève pas en cornes de pagode sans un léger claquement de lèvres, après quoi il libère, blanc, rose ou violet, son charmant juponnage froissé… Devant lui, devant l’ipomée, comment ne pas évoquer d’autres naissances, le grand fracas insaisissable de la chrysalide rompue, l’aile humide et ployée, la première patte qui tâte un monde inconnu, l’œil féerique dont les facettes reçoivent le choc de la première image terrestre?… Je reste froide à l’agonie des corolles. Mais le début d’une carrière de fleur m’exalte, et le commencement d’une longévité de lépidoptère. Qu’est la majesté de ce qui finit, auprès des départs titubants, des désordres de l’aurore?
GigiColette

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