Partir en van et (presque) tout quitter

Maryse Caron et François Rouleau ont décidé, au début de la cinquantaine, de changer de vie et d’adopter le rythme slow. Ils ont cessé de travailler, se sont délestés de la majorité de leurs biens, ont aménagé une van et pris la route de l’aventure, ne conservant que leur petite maison de campagne. Récit.
Propos recueillis par MJ Desmarais  Photos Chantale Lecours



J’ai côtoyé Maryse à l’époque où on travaillait toutes deux dans le milieu des magazines; elle était et est toujours une gourou du style. Et puis, comme c’est si souvent le cas, on s’est perdues de vue pendant des années. Jusqu’à un soir d’été, tout récemment. Mon chum et moi finissions tranquillement notre verre de vin quand on a sonné à la porte, vers 21h. Surprise: c’était Maryse (suivie de François), en sueur, casque de vélo sur la tête. «Allo!!! On passait devant ta maison et j’avais envie de te dire bonjour! » Ça, c’est Maryse tout craché, le genre de fille qui ne s’enfarge pas dans les convenances et qui vit à fond dans le moment présent. Plaisir! On a ouvert une bouteille de vin, on a renoué comme si on s’était vues la veille, et elle m’a raconté son histoire, que voici, et qui n’aurait pas vu le jour si elle avait passé son chemin. NB.– le vélo roulait un peu de travers après la soirée, mais le retour à la maison s’est bien passé!

Magazines, casse-croûte, aventures en van: atypique, le parcours!
Après plus d’une vingtaine d’années passionnantes à travailler en mode dans le domaine des magazines, j’ai décidé de me lancer en affaires avec une associée, puis j’en ai eu marre. C’est alors que, mon chum et moi, nous sommes mis à la recherche d’une entreprise à acheter qui nous permettrait de moins travailler et de préparer notre préretraite. Nous avons eu l’idée d’un commerce saisonnier, le genre qui te permet de travailler six mois et d’être en congé le reste de l’année. On a cherché, puis on a trouvé cette idée du casse-croûte de Val David, que l’on connaissait bien parce qu’il avait déjà appartenu au grand-père de François. On s’est lancés, même si mon chum travaillait encore. On a fait ça pendant quatre ans et puis on a décidé de vendre notre commerce. Le projet de van a démarré.

Entre le rêve et la réalité
La décision de changer de vie, on peut dire qu’on y pensait depuis plusieurs années, mais on a mis du temps à placer nos pions et à tout mettre en branle. François et moi sommes de grands rêveurs. Nous rêvons ensemble depuis 33 ans. Nous sommes toujours prêts à bouger et, peu à peu, nous nous détachons de nos surplus de biens matériels. Ce n’est pas chose facile, mais on y arrive, tranquillement pas vite. Rien de précipité. Nous avons commencé par rencontrer notre planificatrice financière pour établir un plan d’action. Première étape: le budget, pour statuer sur nos besoins annuels – et, en se basant là-dessus, pour évaluer à quel âge on aura épuisé les stocks. La décision la plus difficile? Vendre la maison de Duvernay. Parce que cette maison, on l’a vraiment désirée et on y a vécu si heureux. Mais on a gardé notre petite maison de campagne en pleine forêt au bord de l’eau, à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson, où on vit entre deux road trips, loin des magasins, loin de la tentation d’acheter de nouvelles affaires. Parce que j’avoue avoir encore ce goût des belles choses, même si on réduit beaucoup nos dépenses, même si on est en mode slow living! Vivre à la campagne, c’est tellement relax. On coupe le gazon trois fois, pas plus, pendant la belle saison; on a un potager, on fait notre compost, on mange quand on a faim, on écoute le chant des oiseaux, on est moins dans une boîte…

Prendre le temps
J’ai arrêté de travailler il y a deux ans, François au printemps dernier. J’ai 55 ans, lui 54. Nos amis nous trouvent un peu jeunes pour la retraite, mais nos enfants Marie et Marius, qui sont adultes, comprennent et sont très heureux pour nous. Depuis qu’on ne travaille plus, on prend le temps de vivre, de bien manger, de s’activer, de bouger. On fait des tournois de backgammon et de ping-pong, on fait du SUP ou du kayak, François s’entraîne pour son triathlon annuel… On fait tout ce qu’on aime! On ne court plus, on apprécie chaque petit moment, on est moins avares de notre temps, on est plus disponibles pour nos enfants, pour nos amis, pour notre famille. Et, surtout, bye bye la pression et le stress. Inspire, expire, c’est ça notre vie, maintenant.

Notre projet de nomades, on le préparait depuis plusieurs années
Avant de changer de vie, on avait déjà à notre actif plusieurs aventures en Westfalia: la côte ouest de la Floride jusqu’à Key West, la Californie, l’Ouest canadien. Après ces expériences, on rêvait d’un autre Westfalia, mais comme il ne reste que de vieux modèles sur le marché et que tu ne veux pas d’ennuis mécaniques quand tu parcours de longues distances – malgré le fait que ça fasse partie de l’aventure! – on a acheté un nouveau modèle Mercedes et on l’a aménagé en fonction de nos goûts et de nos besoins. On a fait installer un panneau solaire de 275 watts pour faire fonctionner frigo, lumières et pompe à eau de façon autonome, même sur la route. Nous pouvons passer jusqu’à quatre jours sans soleil et être fonctionnels, ce qui signifie qu’on peut dormir à peu près n’importe où. Ce délai passé, il suffit de se brancher à une prise extérieure pour recharger les deux batteries. Pour l’intérieur, François et son ami Pierre, un entrepreneur en construction, ont travaillé pendant un mois pour installer des murs en cèdre, des armoires en merisier russe, etc. C’est très confortable et on a une cuisine et une toilette fonctionnelles. On dort le plus souvent à bord, mais on aime bien, tous les trois jours, nous rendre dans un camping ou un motel pour prendre une longue douche et nous replacer. Ça prend un break de temps en temps, et on apprécie quand il y a une piscine!

Margaux on the road
On a baptisé notre van Margaux en souvenir de Marguerite, la grand-mère de MF, qui vivait dans la vallée de notre maison de campagne. Elle a déjà fait pas mal de chemin! L’été dernier, on a fait un fabuleux voyage à l’Île-du-Prince-Édouard et aux Îles de la Madeleine, et on a dormi sur un futon parce qu’on ne l’avait pas encore aménagée!  Au printemps dernier, les travaux faits, on a roulé sur la côte est américaine, jusqu’à Cape Hatteras. Ensuite, on est remontés au Québec pour aller à L’Islet et à Kamouraska – toujours un plaisir de retourner dans la région où j’ai grandi. Cet été, on est allés reconduire notre fille Marie, tout juste rentrée d’Europe, au nord de Dolbeau-Mistassini. On a fait 160 km de garnotte (320 km aller-retour) sur la route Domtar parce qu’elle voulait rejoindre son frère au fin fond des bois pour faire la cueillette du thé du Labrador. On avait hâte de le voir! Quelle aventure! On n’y est restée que quelques jours: trop de mouches, trop dur physiquement, même Marius l’homme des bois ne l’a pas trouvée facile. Alors on a repris le chemin de garnotte pour aller la chercher. Après, on s’est promenés sur la côte nord. Splendeur des rivières, paysages à couper le souffle. On a dévalé les dunes de Tadoussac, on est partis à la rencontre des baleines en aéroglisseur le jour de mon anniversaire, on a mangé un club au crabe à la maison du pêcheur à Sept-Îles, on a écouté les histoires de monsieur Yvon Bezeau, 92 ans, la mémoire vivante du village de Rivière-au-Tonnerre. Sur le chemin du retour, on s’est arrêtés chez le cousin de François pour dormir dans son parking de Pointe-au-Pic, puis on est allés chez Julie, mon amie d’enfance, à Lac-Beauport. On adore s’arrêter en chemin chez des amis qu’on voit trop peu souvent.

Cet automne, on s’en va découvrir la baie Georgienne en Ontario. Au printemps prochain, on se réserve au moins deux mois pour traverser le Canada jusqu’en Colombie-Britannique et on ne sait pas encore si on tournera à droite pour aller vers le nord, en Alaska, ou à gauche, pour aller vers le sud, en Oregon. On a comme projet d’aller en Argentine, mais on ne sait pas encore quand, et le voyage sera long – au moins six mois. En attendant, on va suivre les conseils de notre fille, qui a travaillé à Tenerife pour perfectionner son espagnol, et on va aller passer quelques mois aux Canaries – sans van!

 

Le couple
Ben oui, parfois on se tape sur les nerfs… Et ça arrivait avant la nouvelle vie… Mais notre amour et notre complicité sont plus forts que tout le reste. Autant on est différents, autant on s’adore et on se suit dans nos idées et notre évolution. On s’est toujours dit les vraies affaires. Depuis qu’on a commencé à faire de la route, on est bien plus relax, on n’a pas d’horaire, on se laisse porter par le flow. Mon chum a encore un peu de travail à faire sur sa gestion du stress et il lui arrive de paniquer quand on fait face à des situations malencontreuses. Son réflexe naturel est de toujours vouloir tout régler sur-le-champ et je dois souvent le ramener à l’ordre. En riant, parce qu’on a toujours ben du fun. Il faut dire que j’ai une longueur d’avance sur lui dans l’art de savoir décrocher puisque ça fait déjà un moment que je ne travaille plus et que c’est beaucoup plus récent pour lui.

Le chien nomade, Moon
On voyage tout le temps avec Moon, qui est le cadeau de Noël de Marie. En fait, une moitié de Moon est allée à elle et l’autre est allée à moi, parce qu’on voulait se partager la responsabilité. Lorsque Marie est partie travailler pendant neuf mois aux Canaries, on a gardé son chien. À son retour, elle m’a remis «sa» moitié de chien pour mon anniversaire. Elle est avec nous depuis. Moon est une excellente compagne de voyage, un chien ultra sociable, qui ne jappe pas et ne stresse pas… sauf lorsqu’elle voit des écureuils. Le seul hic avec Moon, c’est qu’elle tolère mal la chaleur.

La communauté van
C’est très particulier. Les vanners se rendent service, se refilent leurs bons spots pour aller dormir sur FB et Instagram. La communauté est généreuse. En chemin, on fait toutes sortes de rencontres. Il y a les curieux qui veulent savoir (et voir!) comment on a aménagé notre van. Ceux qui nous demandent la race de notre chien – sans blague, c’est la question qu’on nous pose le plus souvent aux États-Unis (is it a Frenchie? Oui c’est un bouledogue français). Il y a les life vanners, ces vrais nomades super organisés qui sont sur la route depuis plusieurs années. Ce sont les meilleures références, ils sont cool et ils sont passés à une autre étape du slow living. Et il y a les amis qu’on se fait en route: un couple du Québec qui va bientôt quitter la ville pour s’installer à côté de chez nous dans leur chalet des Laurentides, et des Américains vraiment sympathiques, rencontrés à Cape Hatteras, avec lesquels on garde le contact. Mon plus beau souvenir? Une rencontre sur l’île de Vancouver, près de Tofino. Nous nous étions arrêtés pour souper dans un parc au bord de la mer – le spot parfait pour admirer le coucher de soleil – mais nous avions un problème avec notre pompe à eau. Un homme en vieux West nous a demandé s’il pouvait nous aider et si nous avions un endroit où dormir. Il nous a invités à nous garer chez lui, près de ses écuries, et nous a servi un snack de saumon fumé maison avec une tisane de menthe cultivée sur place. Le lendemain matin, il a réparé notre pompe à eau et nous a offert une pousse de menthe, que nous avons plantée à notre retour et que nous cultivons encore. Il nous a aussi offert une sérigraphie de sa femme, une artiste connue. En retour, on a décidé de nettoyer son enclos.

La communauté van est forte sur le troc. On bricole tous quelque chose parce que quand tu t’arrêtes, ça te prend un passe-temps. Lire, c’est super, mais il faut bouger, il faut être créatif. J’ai un carnet, des crayons, pour dessiner ce que je vois, ça me rend contemplative. Je reprends goût à ce que j’aimais faire, enfant. J’ai recommencé le crochet, que m’avait enseigné ma grand-mère, et je fabrique de petites lingettes en fil de coton, que je distribue aux gens que je rencontre. François fabrique des mouches pour la pêche, des bracelets de corde, d’autres bricolent des bijoux en coquillages, cueillent des petits fruits et en font des confitures… L’idée, c’est de s’échanger tout ça.

 

Une affaire de famille
Avec notre mode de vie, on est évidemment de plus en plus écolos. On réduit notre empreinte en consommant moins. On fait tout pour éliminer le plastique, ça nous tient vraiment à cœur. On fait des efforts pour acheter en vrac. En bons citoyens, on se fait un devoir de ramasser des déchets, que ce soit sur la plage, sur le bord de la route ou sur le chemin de notre vallée. On se dit que si tout le monde suivait le pas, ça ferait une différence. Alors on prêche par l’exemple. Notre fils Marius, qui a étudié en tourisme d’aventure, est très faune-flore-environnement et nous éduque sur le sujet. Marie, qui est végétarienne et s’alimente de façon responsable, fait la même chose. Ensemble, en famille, on sensibilise nos proches. Ce qui est vraiment bien, c’est que nos enfants vivent dans le même esprit que nous.

Les prochaines étapes
Le boulot après la retraite? On y pense, mais à la condition que ça ne soit pas figé dans le temps. Je suis prête à prendre des contrats de façon occasionnelle jusqu’à la fin de mes jours pourvu que je garde une certaine liberté pour pouvoir continuer de voyager quatre, cinq mois par année. Je suis ouverte à tout, du moment que le travail est physique: j’ai besoin de bouger, de rencontrer des gens, d’apprendre et découvrir. Je suis toujours en quête d’aventures et rien ne m’effraie. François, de son côté, souhaite faire de la consultation en ventes et donner des formations. Pour le moment, on est en vacances prolongées, on est en plein dans le van lifestyle. On ne recherche pas le luxe… que des lieux paisibles et enchanteurs. Si on s’arrête quelque part, pour louer une maison ou un appart en chemin, on sait que les enfants viendront probablement nous rejoindre.

Rouler en toute liberté, là où on le veut et quand on le veut, c’est exceptionnel. L’aventure, les découvertes, le partage, les rencontres, c’est pour nous la vie à sa plus simple – et sa plus riche – expression. Après les road trips, on passera peut-être aux sea trips, un autre rêve de mon François. Tu sais, la vie passe vite, même en mode slow… faudrait pas attendre d’être trop vieux!

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2 Commentaires

  1. Rachel Ménard dit...

    Génial comme mode de vie…. à la retraite! Andrew et moi y pensons énormément de faire ce genre de « road trip », surtout qu’il sera à la retraite bientôt. Votre histoire nous interpelle beaucoup, étant des gens qui aiment la nature et l’aventure.
    Nous entrerons en communication avec vous pour une rencontre prochainement…ayant nos maisons de campagne très près l’une de l’autre.
    À bientôt… et surtout bons « road trips »!!!

    Rachel et Andrew

  2. Christine Rathé dit...

    Bonjour, j’ai connu Maryse Caron au Cegep. Nous avons étudié en Arts toutes les 2. Je me rappelle, nous avions la même date d’anniversaire! C’est une personne inspirante et très intelligente!
    Bravo pour ce nouveau mode de vie! Ça me fait réfléchir….
    Au plaisir,
    Christine Rathé
    [email protected]

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