Profession: épicière, avec Maya Ramacieri, de La Cena 

Propos recueillis par MJ Desmarais  Photos Maude Chauvin



On entre une première fois à La Cena, dans le quartier Villeray, et on se sent tout de suite chez soi. C’est petit, chaleureux, il y a des frigos remplis de bonnes choses, un étal de boucherie, une cuisine grande ouverte. Une employée placote avec un habitué, un vrai, qui vient chercher son lunch et son souper tous les jours. Maya Ramacieri, la charmante propriétaire, apporte deux limonades toutes fraîches et on s’installe pour jaser à une petite table placée au milieu des victuailles. «Ça, ce sont des pâtes qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Et ça, c’est la meilleure huile d’olive au monde.» C’est parti…

De grand-père à petite-fille
Enfant, j’ai beaucoup cuisiné avec mon grand-père, un Italien qui adorait la bouffe. Ça m’a marquée – mon amour de la cuisine vient de là. Moi qui ai eu quatre carrières, je ne croyais pas vivre un jour de cette passion! Dans la jeune trentaine, j’ai travaillé au marché Jean-Talon puis, un peu par hasard, dans la cuisine de la garderie que fréquentaient mes enfants. La directrice m’a demandé de les dépanner et, finalement, j’ai été là pendant trois ans. Tout allait bien, mais je savais que je devais suivre une formation, que je devais me perfectionner. J’ai googlé «cuisine italienne» et je suis tombée sur un cours à temps plein à l’ITHQ. J’ai capoté sur ce cours! Et j’ai eu la chance de le suivre avec le chef Pasquale Vari! Quand tu retournes à l’école dans la trentaine, c’est parce que tu sais ce que tu veux faire – et tu sais que tu vas aimer ça!

 

Histoire d’amour pour Villeray
Mon rêve d’enfant, d’adolescente, c’était d’avoir un petit commerce, un petit café, un lieu qui serait à moi. Tu ne trouves pas qu’on a tous envie de ça quand on est jeune? Je me suis installée dans Villeray il y a dix ans avec mes enfants, des jumeaux qui ont aujourd’hui 14 ans, et je me suis dit que ce serait un bon endroit pour ouvrir une épicerie. Et puis j’ai rencontré mon conjoint, Jean Olivier, dans un stage. Il était traiteur depuis 15 ans et il était retourné, comme moi, sur les bancs d’école pour suivre une formation en boucherie. Deux passions plus tard, on a décidé de se lancer, de combiner nos talents et d’offrir un service de traiteur à domicile. On n’avait pas de cuisine fixe, on louait des locaux, et, un jour, j’en ai eu assez de sillonner la ville en tentant d’éviter les nids de poule pour livrer des repas. Il nous fallait notre local à nous.

J’étais tombée en amour avec cette bâtisse, une maison privée, depuis un moment. Quand elle a été mise en vente, je l’ai achetée grâce à un coup de pouce de mon grand-père, qui m’avait laissé un peu de sous. Je te le dis, son âme est ici; tu vois, c’est lui sur les photos, partout. Il m’a fait ce cadeau de me permettre d’ouvrir La Cena, et, chaque fois que je cuisine ici, j’ai une pensée pour lui.

À la demande générale…
Au début, on voulait seulement être traiteur, c’est tout, alors dans nos plans d’aménagement, on pensait à une grande fenestration et à de grandes tables de travail pour pouvoir cuisiner enfin dans la lumière plutôt que dans un sous-sol! Mais les clients qui passaient devant la bâtisse frappaient à la porte et demandaient s’ils pouvaient acheter à manger. Une dame assez âgée m’a dit: «Si un prêt-à-manger ouvrait ici, je pourrais rester quelques années de plus chez moi.» On a craqué! Mon chum a commencé à proposer de la viande en comptoir, on a élargi notre offre, on s’est mis à cuisiner des repas maison tous les jours, on est devenus épiciers et traiteurs. Alors on a dû revoir nos plans d’aménagement!

Je viens d’une famille passionnée de design, et je savais que je voulais le feeling d’un commerce établi depuis longtemps, qui a une histoire. On a eu la chance et la malchance de devoir attendre un an et demi pour obtenir tous nos permis; on a eu tout le temps nécessaire pour faire plein de trouvailles et pour économiser sur l’aménagement. Les planchers sont d’origine et les frigos sont vieux, ça donne le ton. Le tableau sur le mur qui est juste assez abîmé, il a été récupéré dans une école primaire. La table, au fond, on l’a fabriquée avec des vieilles tablettes de mon grand-père. Ce que j’aime le plus? Le bureau, tu l’auras deviné, de mon grand-père, qui est devenu notre comptoir-caisse. Symbolique!

 

Ne pas compter les heures
Pendant un an et demi, on a travaillé comme des fous. Au moins 100 heures par semaine. Aujourd’hui, on a huit employés et je travaille 45-50 heures. Sur place. Parce qu’il faut ajouter un petit 20 heures de plus dans ma tête quand je vais au resto, quand je compare les prix à l’épicerie… À vrai dire, je travaille tout le temps! Mais ça va. Quand tu aimes ce que tu fais, tu n’as pas l’impression de travailler tant que ça. En fait, c’est difficile pour moi de ne pas être ici! C’est tellement important, de te lever le matin pour faire ce que tu aimes. Travailler avec mon mari? C’est dans mon ADN: mes parents, qui ont 68 ans, se sont rencontrés lorsqu’ils avaient 14 ans. Ils ont travaillé côte à côte à bâtir des entreprises et sont toujours ensemble. J’ai été élevée comme ça.

Des clients qui sont des amis
On a une clientèle super fidèle, et plusieurs sont là depuis les débuts. Ils font leurs courses à l’européenne et passent tous les jours pour acheter deux saucisses, une salade, un pain. On a établi une relation, on connaît les enfants… Ça bouge! Ici, je me sens parfois comme au beau milieu d’une pièce de théâtre, où les personnages entrent en scène – et sortent – les uns après les autres. J’adore ça. Il y a des gens qui viennent chercher leur souper tous les soirs et leur lunch tous les midis. Ils savent qu’on va leur ouvrir la porte même si on est fermés depuis 20 minutes. Il y a des femmes qui rêvaient d’avoir des enfants, qui sont venues faire leurs courses avec leurs poussettes et qui, aujourd’hui, passent faire un tour après être allées chercher leurs enfants à l’école. Il y a la dame qui a une garderie familiale et qui laisse les enfants choisir leur repas du midi, les classes de maternelle qui passent enseigner le nom des fruits et des légumes aux enfants. Et tous ces petits repartent avec un grissini maison – à la sauge et au parmesan, bien sûr!

Traiteur pour tous
Il y a une de nos clientes, hospitalisée à long terme, qui veut bien manger. On va lui porter un lunch tous les midis. En simultané, on peut tout cuisiner pour un mariage élégant de 350 personnes. Ça met de la diversité dans les journées de nos employés, qui vivent des expériences pas banales – ce n’est jamais pareil d’une journée à l’autre. Au début, on avait des menus fixes. Mais on se retrouvait toujours avec une panoplie d’allergies ou d’intolérances alors il fallait tout adapter. J’ai déchiré le menu. Aujourd’hui, je crée tout sur mesure, pour que les clients soient heureux. Je m’adapte aussi à tous les budgets. Parce qu’il y a une mission sociale dans ce que je fais. Quand j’ai cuisiné en garderie, j’ai appris à me débrouiller avec 45$ pour 35 repas et j’ai côtoyé tellement de mères monoparentales qui avaient du mal à arriver… Je savais ce qu’elles vivaient: j’ai grandi à Outremont dans le confort, mais j’ai élevé mes enfants toute seule et je me suis débrouillée pendant des années. J’ai connu les deux mondes, ce qui fait de moi une personne très balancée socialement.

 

La recette du succès
J’ai la bosse des affaires et ces dernières années ont confirmé que je suis une bonne gestionnaire. Très jeune, je faisais ma comptabilité, j’étais très structurée. J’ai appris à être à la fois prévoyante et game! En fait, je mettais la charrue avant les bœufs: mon premier appartement était difficile à payer alors ça me donnait envie de travailler fort pour y arriver. Même chose pour ma première auto! De ma vie, je n’ai jamais eu de factures en retard. Je suis d’ailleurs encore et toujours très impliquée dans ma gestion de finances: même si tu confies certaines choses à un comptable, c’est important de passer quelques heures par semaine à analyser tes dépenses et tes revenus.

On gère bien nos budgets à La Cena et ça fait longtemps qu’on a mis en place une politique «zéro gaspillage». Tout ce qu’on cuisine est dans nos frigos, nos comptoirs; comme les clients, c’est là qu’on se sert pour cuisiner. Alors si les champignons ne se vendent pas assez vite, ils vont dans la soupe du jour ou se retrouvent en accompagnement dans un plat ou sur la pizza du vendredi. Ça compte, à la fin de l’année!

Le succès de La Cena? On le doit à notre passion et à notre équipe en or. Et, bien sûr, à la clientèle fidèle! Les clients me disent souvent qu’ils reviennent pour le service si personnalisé. J’essaie toujours de propager une énergie positive pour que chaque membre de l’équipe puisse la relayer aux clients. On sourit, on parle, on s’empresse, on s’amuse, même quand on a mal au dos. Ça revient à la pièce de théâtre…

 

Ce qu’on trouve à la Cena…
Des plats préparés tous les jours, des salades, des soupes, des pâtes, des mijotés, etc.

«On varie tout le temps… Quelques classiques restent!»

LES SPÉCIALITÉS «Les viandes nature, les saucisses de mon chum, les charcuteries maison. Notre porc, d’une qualité incroyable, qu’on se procure chez Philippe, notre fournisseur de la ferme Lennon en Estrie. Côté desserts, mon tiramisu, que je fais avec du mascarpone italien importé juste pour ça – je ne peux pas travailler avec autre chose. Et c’est la base des glaçages de tous nos gâteaux maison!

LES SPÉCIAUX DU VENDREDI… «Notre porchetta, à déguster en sandwich avec le petit pain parfait et la salsa verde maison, et notre pizza maison: on fait notre pâte, notre sauce…»

DES IMPORTATIONS PRIVÉES «Des produits d’exception qu’on ne trouve nulle part ailleurs: pâtes, huiles, vinaigres, condiments…»

DES PRODUITS DU QUÉBEC «Des fruits, des légumes de saison, des fromages d’ici»

…ET MÊME DES PRODUITS DE BEAUTÉ «Les savons de la gamme Ramacieri Soligo, créés par ma belle-sœur; une gamme de savons véganes signée Soins Materia; et on a même une cliente qui fabrique des savons avec notre gras de porc, notre marc de café, nos noyaux d’avocat et notre romarin frais. Quand je dis “zéro déchet“, hahaha!»

La Cena
422, rue Guizot Est
Montréal
514-507-2377

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Facebook @lacena2014

Instagram @lacenaepicerietraiteur

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Et aussi…

Un restaurant préféré Tapeo. J’aime l’ambiance, l’énergie, les petites portions à partager, le fait qu’on puisse goûter à plein de choses. J’ai connu l’endroit avant les rénovations, quand les gens fumaient au bar. J’y allais le mercredi, c’était ma soirée sans enfants. Mais depuis qu’on a ouvert La Cena, je suis triste de ne pouvoir y aller aussi souvent.

Un livre de recettes Jeux de saveurs, de Maria Ella, qui te permet de créer et penser comme un chef.

Une destination gourmande J’aimerais dire autre chose, mais… l’Estrie. J’aime partir en road trip avec une paire de jeans et une brosse à dents pour visiter une fromagerie, découvrir de nouveaux produits et voir du paysage…

Un produit coup de cœur L’huile d’olive Arita, de Sicile. Elle a été sacrée meilleure au monde en 2018! Je connais bien les producteurs. Si je n’avais pas de commerce, je serais là en train de faire la récolte.

Salute!

 

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