Profession: directrice de création, avec Catherine Gravel

Elle fait du branding, des livres, des magazines, du packaging, des sites Web, et plus… Incursion dans l’univers de Catherine Gravel, la cofondatrice de Bloome.
  PHOTOS MAUDE CHAUVIN



Directrice artistique, directrice de création, directrice photo, Catherine a un sens de l’esthétique sans faille qui laisse sa trace dans tous les projets qu’elle entreprend. Elle a fait sa marque dans le milieu des magazines et de l’édition de livres avant de fonder le studio Quatre par Quatre, spécialisé en identité de marque. Catherine, c’est aussi la cofondatrice de Bloome, un projet qui lui ressemble et qui rassemble ses valeurs: authenticité, simplicité – et, comme toujours, graphisme très juste et épuré. Ah, et en plus elle est fine, belle, généreuse, drôle…

OK, identité de marque: des détails, STP?
C’est simple: je crée l’image publique d’entreprises émergentes ou dont les réalités d’affaires changent. C’est un processus qui va beaucoup plus loin que le graphisme et qui peut demander plusieurs mois de travail – ça varie énormément en fonction des clients.

Qu’est-ce que ça prend pour réussir dans ce métier?
Il faut impérativement être doté d’une grande sensibilité. C’est essentiel pour aller chercher la personnalité de l’entreprise de manière très profonde, ce qui permet par la suite de communiquer graphiquement la bonne information.
Une image de marque réussie, c’est un message qui passe de façon évidente parce que le concept et la facture graphique sont réfléchis. Le sens artistique est essentiel, bien sûr, mais il faut aussi développer ses habiletés d’entrepreneure. Une bonne organisation est incontournable parce qu’il faut gérer plusieurs clients en même temps, qui ont chacun des délais et des réalités différentes. Il faut aussi avoir une bonne connaissance du marché, des tendances graphiques et du processus d’affaires.

Comment ça se déroule avec un client?
Tout commence avec une rencontre, pour que le feeling passe entre nous. Dès le début, je m’assure aussi que mon client aime le style graphique de Quatre par Quatre. Sinon, ça ne donne rien de continuer et je le réfère avec plaisir vers un studio qui correspond mieux à ses goûts. Ensuite, j’envoie à mon client un questionnaire de stratégie, qui va vraiment au fond des choses. Je veux savoir le «comment»… Parce que, disons-le, des profs de yoga, il y a en mille. Mais la façon particulière d’enseigner de ce prof-là, c’est ce qui me donne une accroche pour la suite. Une fois que j’ai bien analysé les réponses aux questions, je prépare des mots-clés et une définition particulière du mandat. Et puis je pars à la recherche d’images graphiques qui m’inspirent. Ça me permet de commencer à conceptualiser, et aussi d’analyser la compétition, les comparables. Je mets toutes ces images-là dans un tableau d’ambiance (moodboard), que je présente au client. Je lui demande, à froid, de me dire ce qu’il aime, ce qu’il aime moins. En pensant toujours à son entreprise et aux mots-clés, bien sûr, parce que «je n’aime pas le mauve», ça ne nous amène nulle part. Ce n’est qu’après ces démarches que je pars en création. Je propose 3-4-5 pistes différentes et ça finit souvent en les mélangeant!

Quel est le dénominateur commun de tes créations? Ton point de différenciation?
Mes projets sont en général épurés, assez intemporels, plutôt féminins – même si certains le sont moins en fonction des mandats! Le point qui me différencie, si je me fie aux commentaires que je reçois, est mon côté très engagé. Je suis vraiment impliquée avec tous mes clients et je les aime fort!

Pourquoi avoir pris ce virage particulier?
Ça s’est un peu imposé à moi! Après avoir passé tout le début de ma carrière en édition, je voulais faire autre chose, surtout que ce milieu s’effondrait complètement. J’avais un grand désir de travailler pour de vrais humains, je ne voulais pas retourner en agence, et surtout pas en pub. Honnêtement, être directrice de création sur un compte de pneus, ça ne m’allume pas du tout! J’aime être à mon compte, choisir mes mandats, rencontrer directement les entrepreneurs, faire tout le processus avec eux.

 

D’où te vient cet intérêt pour le graphisme, le visuel?
Mon père, Charles Gravel, faisait de la photo quand j’étais petite, il avait une chambre noire dans le sous-sol et ça me mystifiait. Cette petite pièce noire, éclairée en rouge… L’odeur des chimies… La magie de voir une photo apparaître sur le papier… Ça m’est toujours resté. J’ai étudié, un bref instant, en administration au cégep, pour me rendre compte que personne ne me ressemblait et que ça ne m’allait pas du tout! Je me suis alors inscrite en cinéma. J’ai aimé, mais ce n’était toujours pas ça. Je suis partie en voyage, et, en revenant, je me suis inscrite en photo au cégep du Vieux Montréal. BAM! C’était ça. Quand j’ai fini mon cours, j’ai essayé de travailler dans le domaine, mais je me rendais compte que j’aimais trop le médium pour accepter de faire des photos de bébés ou de shooter des produits sur une table. J’ai entendu parler du baccalauréat en design à l’UQAM et j’ai envoyé mon portfolio. C’est ultra contingenté, mais j’ai été acceptée! J’ai eu de la misère au début, parce que tous les élèves sortaient d’un DEC en graphisme et je n’y connaissais absolument rien. Mais j’ai tripé ma vie! Trois ans de bonheur.

Aujourd’hui, les frontières entre les métiers de graphiste, de concepteur, de rédacteur, de directeur artistique et de marketeur ont tendance à s’estomper. Comment vis-tu ça?
Ça contribue au problème de compréhension qu’ont les clients quand ils arrivent! C’est comme si tout le monde était rendu capable de créer une image de marque – certains clients croient qu’un logo, c’est 500$ et que ça s’arrête là. Oui, dans un sens, je fais un peu tout ça dans un processus de branding, mais il reste que je suis spécialisée en identité de marque et que je suis directrice de création. C’est faux de croire qu’un instagrameur est un photographe professionnel et qu’il peut aussi te faire un logo…

À quoi ressemble ton environnement de travail?
Je travaille dans le studio le plus cool de Montréal, celui que je partage avec sept merveilleux humains. L’endroit s’appelle «Parmi les robots» parce que nous sommes des humains qui travaillons dans un monde de robots. Je partage cet espace avec ma grande amie Maude, qui est photographe. Et d’autres humains nous louent des bureaux. Aucun robot n’est accepté. La lumière est magique, et je m’en ennuie quand je n’y vais pas pendant un moment. J’ai besoin de ma dose de façon régulière. Mais je travaille souvent chez moi!

 

Une journée typique pour toi, ça se déroule comment?
Je me réveille très tôt. Je sors mon chien. Je m’installe dans mon divan avec un énorme bol de café au lait et mon chien, bien collé sur moi. Je passe à travers les choses que je dois faire dans la journée. Jusqu’à 9h-9h30, je fais de la création et ensuite je m’arrête: les appels, les courriels, ça brise la concentration. Le reste de la journée varie en fonction de mes mandats – c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’aime tant mon métier. Shooting photo, tournage vidéo, visite d’imprimeur, réunion de présentation, premières rencontres…, ça varie toujours.

Tu dois créer et aussi gérer ta business, négocier avec les clients. Comment concilies-tu création et administration?
Je ne pourrais pas faire de la création tous les jours, mon inspiration s’essoufflerait. Et juste de l’administratif non plus, je ne ferais jamais ce métier-là! Mais d’en faire me fait du bien, ça structure mes journées, et le lien serré que j’ai avec mes clients donne de la viande autour de l’os lors de la création!

Les outils que tu utilises?
La suite Adobe, bien sûr. Mon iPhone, mon ordi, pas mal essentiels. Les sites d’inspiration en design, Behance, un crayon et du bon vieux papier pour esquisser ou organiser ma pensée… Mon chien, pour m’accoter…

Que fais-tu quand le processus de création est bloqué?
Je vais marcher, je vais voir un film, je laisse tomber et je recommence le lendemain. Souvent, ça va débloquer le soir ou à un autre moment de la journée. C’est impossible de forcer l’inspiration. Ça revient à dire qu’on DOIT être créatif entre 9h et 17h. Ça ne se passe pas du tout comme ça. C’est 24h par jour dans ma tête, et une couleur que je vais voir sur un mur en allant faire les courses sera peut-être le point de départ d’une piste sur un projet! Quand je peux le faire, je pars aussi à la campagne. C’est fou comme ça me fait du bien.

Le rôle de ton chien quand tu es en création?
Flo est essentielle. Elle me calme, elle me fait sortir dehors quand je bloque, elle me colle et me rassure quand je suis angoissée au moment de commencer un projet… Elle vient avec moi au studio, à la campagne.

Est-ce que ta créativité déborde du cadre de ton travail?
Je suis, je crois, créative dans tous les aspects de ma vie. C’est un trait de personnalité! Ça va des cadeaux que j’offre aux gens que j’aime, à la façon design que j’ai de voir la vie. Je trouve des solutions, c’est ça, le design!

Le beau, le laid, ça te touche comment?
Il y a tellement de choses que je trouve laides! Et tellement de choses que je trouve belles! Je cherche la beauté partout, c’est mon travail. Je me lève le matin pour essayer d’en créer. Ce qui est laid, je le delete de mon univers.

Est-ce que tu apprends encore?
J’apprends énormément, chaque jour. La beauté de mon métier, c’est que je suis amenée à rencontrer plein de gens dans des domaines complètement différents, c’est PASSIONNANT. Et j’apprends encore à devenir un meilleur humain, on continue d’apprendre ça toute notre vie, je crois!

Tu voudrais qu’on fasse une entrevue «profession» avec qui, next?
Quelqu’un qui travaille avec les gens en fin de vie.

Et aussi…

Tu lis sur papier ou sur tablette?
PAPIER! All the way! Je n’ai même pas de tablette. Livres plus que magazines. J’ai peut-être trop fait de magazines, on dirait que je connais trop les dessous de l’affaire…

La musique que tu écoutes en ce moment pour t’inspirer?
C’est vraiment super varié, ça va du classique quand il neige à «Dooooooonne moi une petite chaaaaaance» quand j’ai un down d’après-midi. Sinon c’est plutôt folk et doux. J’aime les playlists de Spotify, ça me permet de découvrir des choses tout en travaillant!

Des endroits dont tu aimes le design?
Butterblume, je vivrais là. Notre studio. Ma petite maison.

Des destinations qui collent avec ton esthétique?
Copenhague et le Portugal, mêlées ensemble.

Ton uniforme, les jours de travail?
Des fois, je peux travailler en mou jusqu’à midi. Personne ne me voit, c’est parfait. Mais je m’habille quand je vais chez des clients, quand même. Jeans, souvent… On a le droit, nous, les créatifs!

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Pour suivre Catherine
Quatre par Quatre
Instagram: quatre_par_quatre

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