Sylvie Bernier raconte son chemin de Compostelle

L’ambassadrice des saines habitudes de vie pour Québec en Forme – et, ne l’oublions pas, la médaillée d’or aux JO de Los Angeles – y pensait depuis longtemps. Elle l’a fait cette année, à sa manière. Parce que, comme elle le dit si bien, chacun fait son Compostelle – qu’on soit dans une forme olympique ou pas!
Propos recueillis par MJ Desmarais  Photos Chantale Lecours

 



Pourquoi Compostelle?
Sans entrer dans les détails, il y a eu un accident dans notre famille, une tragédie. Le décès de mon neveu, qui s’est noyé devant nous, a été un événement marquant qui m’a fait entrer dans une période de grand questionnement. C’est à ce moment que mon ouverture à la spiritualité s’est manifestée. Je me suis dit qu’un jour, je voudrais vivre Compostelle. L’idée de me retrouver seule à marcher dans le bois, à prendre tout mon temps, m’interpellait, mais ce n’était tout simplement pas possible à cette époque qui était la plus occupée de ma vie. J’avais trois jeunes enfants – mes filles avaient six, huit et dix ans – et des obligations professionnelles; j’étais prise 24 heures sur 24.

Ça a pris 16 ans avant de se concrétiser
En décembre dernier, la décision s’est prise tout naturellement. Mes filles avaient quitté la maison et, professionnellement, je pouvais me permettre de prendre une pause. C’était le bon moment. Mon mari, qui savait que j’y songeais depuis longtemps, m’a dit: «Go, va vivre ça».

Cheminer à deux
Je suis partie avec ma sœur Suzanne, ce qui n’était pas du tout prévu. Elle a manifesté son intérêt quand j’ai commencé à en parler avec mes proches. Elle ne pensait pas à Compostelle depuis des années comme moi, mais elle a été attirée parce qu’elle avait vécu un cancer trois années plus tôt. Je lui ai dit que j’aimerais ça, oui, qu’elle m’accompagne. On est cinq enfants chez nous, j’ai une seule sœur et j’ai quitté la maison très jeune, à 18 ans. Elle a eu quatre enfants, on a vécu nos vies chacune de notre bord, on se voyait à Pâques, à Noël, dans des réunions de famille, des moments pas très propices aux grandes conversations…

Me retrouver avec ma sœur 24 heures sur 24 pendant 17 jours a été extraordinaire. Combien d’entre nous ont cette chance de passer des moments privilégiés avec leurs sœurs, leurs frères, sans conjoints, sans enfants? Ce voyage a eu un impact réel sur notre relation. On est reparties d’où on s’était laissées, moi à 18 ans et elle, à 22 ans; on a revisité notre enfance et on s’est redécouvertes adultes. On a recréé une vraie relation de sœurs et on a aussi scellé notre amitié.

La préparation
Je n’avais pas d’attentes, je n’ai donc rien planifié. Avant de partir, je n’avais presque rien lu sur Compostelle, je n’avais pas posé de questions, je ne savais pas combien de kilomètres j’allais parcourir chaque jour. Je n’ai même pas vérifié la température! Je connaissais la date et l’heure de mon départ, je savais qu’on se rendait à León en train, c’était à peu près tout. Je voulais vivre ça à ma façon et, surtout, j’avais besoin de lâcher prise… C’est ma sœur qui a tout fait, qui a tout organisé. Je me serais débrouillée une fois sur place, bien sûr, mais ma sœur avait tout prévu.

Ma sœur et moi sommes toutes les deux en forme. Toutefois elle était mieux préparée que moi sur le plat parce qu’elle marche beaucoup, tous les jours. Quand elle a eu un cancer, cette forme d’exercice a été pour elle une façon de prendre le contrôle sur la situation. Entre son travail prenant – elle est pharmacienne en psychiatrie – et ses obligations familiales, la marche est une solution simple pour elle. Avant de partir, on se textait notre nombre de pas au quotidien, et c’est toujours elle qui menait… Ce qui m’a aidée? Mon côté multidisciplinaire. Je fais du vélo, de la randonnée en montagne, je bouge tous les jours. Je marche beaucoup parce que je me déplace en transport collectif/actif. Je me rends au travail en train, en métro, en bus, en Bixi, à pied. J’ai vendu ma voiture par choix, puisque je veux que mes bottines suivent mes babines.

En fait, la marche est une solution simple pour se maintenir en forme puisque nous sommes tous des marcheurs: c’est la première chose qu’on fait enfant, et on marche toute notre vie, même jusqu’à la fin. On n’a pas d’auto en naissant ni en fin de vie! La marche est la meilleure façon de s’activer et de briser la sédentarité.

 

Le Camino Francés
Comme le font 70% des pèlerins, nous avons opté pour le Camino Francés en partant de León, en Espagne, et en cheminant jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle. Nous avons marché 13 jours pour compléter les 300 km de notre voyage.

Ma sœur et moi avons vécu de grands moments, en marchant ensemble ou en marchant seules, chacune de notre côté – parce qu’on a décidé dès le début de faire «mon Compostelle, ton Compostelle, notre Compostelle». On démarrait chaque journée ensemble en quittant notre auberge. Après une ou deux heures, on se séparait pour cheminer chacune de notre côté pendant cinq ou six heures. L’introspection est un aspect important de cette expérience. Il faut prendre le temps d’être seule avec soi, prendre le temps d’être soi-même. On prenait aussi le temps – pas nécessairement tous les jours –  de rencontrer des gens, d’échanger avec les autres pèlerins. Et puis on se retrouvait. Chaque journée était complètement différente, autant pour le décor, les paysages, que pour ce qu’on vivait et les rencontres qu’on faisait.

Pendant deux semaines, je n’ai pas regardé mes courriels, j’ai ignoré les médias sociaux et j’ai complètement décroché professionnellement. J’avais un petit texte rédigé à l’avance pour mon Facebook officiel: «On se revoit dans 16 jours», sans plus. Je me suis aussi distancée de ma famille, de mon mari. Normalement, je parle ou j’écris à mes filles plusieurs fois par jour, mais là je me suis contentée de leur envoyer un petit message aux quatre jours. Mon téléphone n’a servi que pour communiquer avec ma sœur quand on ne marchait pas ensemble, pour se donner des points de rencontre dans un village ou notre auberge, par exemple.

 

Les défis
Au début, on souffre parce qu’on a des ampoules. Le soin des pieds prend beaucoup de place, on se demande si on va passer au travers! On gère notre hydratation, on pense à ce qu’on va manger, on s’organise. Pendant les trois ou quatre premiers jours, on apprivoise le fonctionnement des choses… Ces moments, on les a passés ensemble. Et puis quand on a commencé à avoir moins d’ampoules, quand on a su comment gérer nos journées, c’est devenu plus facile. En chemin, on croise des gens qui ont des problèmes de genou, de hanche, personne ne vit ça de la même façon. Certains nous ont dit: «Oublie l’introspection, ça fait 15 jours que j’ai mal partout!», d’autres vont bien physiquement, mais trouvent l’introspection difficile, ils réalisent que du point de vue psychologique, ils ont plus de difficulté avec la solitude.

Certains font Compostelle tout seuls, d’autres marchent en groupe. Il y a des gens inquiets, qui ont besoin d’être guidés, de se déplacer à plusieurs, d’autres, qui refusent d’être encadrés, qui préfèrent être seuls. Tout dépend de ta personnalité – chacun vit ça à sa façon et c’est très bien comme ça.

Il y a une journée où on a fait 36 kilomètres, et les huit derniers se déroulaient en montagne. Il faisait très chaud, et, à la fin de la journée, c’était encore pire. Il fallait se rendre dans un petit village, le point le plus élevé de tout ce Compostelle, à 1100 mètres d’altitude. Il y a des gens qui ont fait la montée en taxi, d’autres qui ont arrêté. Il n’y a pas de jugement. Nous, on a continué. Là, je peux dire que je me suis dépassée. Je n’aurais pas pu faire un kilomètre de plus. On a travaillé fort et on avait hâte de se retrouver sur une terrasse avec un verre de vin.

Les rencontres
Tout le monde fait Compostelle pour une raison, pour sa raison, et c’est ça qui est magique. Certains célèbrent leur retraite, et c’est le premier voyage qu’ils font où personne ne les attend au retour. D’autres, après une maladie, se sont promis de faire le chemin une fois l’épreuve passée. Chacun a son vécu, chacun a sa motivation, qu’elle soit physique, sportive, spirituelle ou religieuse. Toutes les personnes avec qui j’ai vraiment parlé avaient quelque chose qui venait me chercher, mais pour des raisons différentes. J’ai fait des rencontres exceptionnelles, j’ai senti avec certains des affinités personnelles, des affinités professionnelles… On peut faire un bon bout de chemin avec quelqu’un avec qui on se sent tout de suite à l’aise; on peut aussi parler cinq petites minutes et se séparer ou tout simplement se saluer en se souhaitant «Buen Camino». Et quand tu rencontres quelqu’un qui te dit: «Je ne veux pas parler aujourd’hui, j’ai besoin d’être seul», c’est très bien. Zéro attente, zéro jugement. On a rencontré des gens d’au moins 25 pays différents, certains qui parlaient peu le français ou l’anglais, mais avec lesquels on a marché un moment, en s’échangeant des sourires…

L’arrivée
L’arrivée, le point culminant, est un gros moment. Le dernier matin, on parcourt les dix kilomètres restants dans l’anticipation, en croisant des visages connus, et on se retrouve devant la cathédrale, sur la place. Un moment où tout le monde prend des photos, un moment où se vivent beaucoup d’émotions. J’étais très fière – fière de cet accomplissement, fière d’avoir fait le chemin avec ma sœur, fière d’avoir réalisé quelque chose que je désirais vivre depuis longtemps. Je me suis dit «C’est fait, je suis là», j’ai vécu ce moment.

Le midi, à la cathédrale, il y a une cérémonie très simple pour souhaiter la bienvenue aux pèlerins, où on cite le nom et la nationalité de ceux qui sont arrivés dans les dernières 24h. Si on a de la chance, on peut assister au fameux rituel du Botafumeiro, un encensoir géant que huit hommes balancent comme un pendule. Cette cérémonie, qui date du Moyen Âge, est normalement réservée aux grandes fêtes, à moins de vouloir débourser 300 euros! Sur un coup de dés, on a décidé d’y retourner le lendemain et nous sommes arrivées en même temps qu’un groupe de l’armée espagnole qui avait décidé de s’offrir ça. On a été très privilégiées de voir cette belle cérémonie ancestrale, très émouvante, touchante, magique.

Bilan
J’ai eu le privilège de redécouvrir ma sœur, de vivre avec elle de précieux moments. C’est le point le plus important pour moi: on s’est permis ça, ensemble, nous qui aimons toutes deux la nature, la contemplation. Aussi, j’ai pris du temps pour moi, du temps pour regarder le temps passer, du temps pour m’asseoir sur une roche en pleine forêt en sachant que je ne suis attendue nulle part. L’introspection, c’est un cadeau que je me suis fait et je suis heureuse d’avoir pris cette décision. La vie, c’est des choix. Ces deux semaines ont confirmé qu’entre la vie publique et le travail, j’ai un grand besoin de me retrouver. Oui, il faut mettre des choses en place pour pouvoir se permettre du temps pour soi, dans notre vie professionnelle comme dans notre vie personnelle, et c’est parfois compliqué, mais ça vaut vraiment la peine. Chacun peut trouver son Compostelle – que ce soit sur les routes d’Espagne ou tout simplement dans un bateau de pêche sur un lac tranquille, pas très loin de la maison.

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