Quatre filles en marche sur le sentier des Appalaches

Le Hundred-Mile Wilderness est le tronçon le plus sauvage et l’un des plus ardus du sentier des Appalaches (AT pour les initiés). Comme son nom l’indique, ce sentier d’une centaine de milles (160 km) traverse une portion sauvage et quasi inhabitée du nord du Maine. Nous l’avons parcouru à pied, de la petite ville de Monsoon jusqu’au parc national Baxter, en terminant par le sommet du grandiose mont Katahdin. Récit, en mots et en illustrations.

Par Marie-Eve gAUTHIER  Illustrations de Catherine Gauthier



 

Depuis quelques années, je marche. Pour me sortir de la ville, pour découvrir de nouveaux espaces, pour être dans le bois. Sylvothérapie, Shinrin Yoku (le «bain de forêt» japonais), méditation, peu importe comment décrire le phénomène, ce qui compte, c’est le temps passé hors de moi. Et le défi sportif que représentent parfois des journées entières passées à marcher et à ignorer mes pieds endoloris, qui travaillent parfois pas mal fort.

C’est dans cet esprit, dans ce désir de m’exiler en forêt, de dépasser mes limites, de m’imprégner de nature sauvage et de m’aventurer sur un tronçon du mythique Appalachian Trail que je suis partie à la fin de l’été dernier avec ma sœur (qui a réalisé les illustrations!) et deux amies pour unir mes pas à ceux de centaines de marcheurs.

Les filles et moi, nous nous étions donné pour objectif de compléter le sentier en neuf jours. Ce qui représentait des journées de 20 à 25 km. Ça peut sembler facile, mais le dénivelé change énormément la donne. Et la première portion du sentier est assez accidentée. On monte. On descend. On monte. On descend. Sur des chemins hérissés de roches et de racines. Avec un sac à dos de 25 livres sur le dos, le coefficient de difficulté augmente drôlement. Car il faut préciser que nous sommes parties en totale autonomie, avec tentes, matelas, sacs de couchage, vêtements et nourriture sur le dos. De quoi ralentir le tempo. Mais c’est le but des vacances, non ? Ralentir…

Nous marchions donc du matin au soir, les journées défilant plus ou moins au même rythme : sentiers magnifiques en forêt, lacs majestueux, sommets embrumés, petites pauses, discussions animées le long du chemin, repas, dodos très tôt. C’est fascinant de constater comment une microsociété éphémère, où chacune tient un rôle précis, peut s’organiser en si peu de temps. Une fait bouillir l’eau, l’autre monte la tente, une démonte le campement et s’occupe du feu, l’autre fournit la crème pour les ampoules…

 

Sur la route

Traverser le Hundred-Mile Wilderness pendant neuf jours pose tout un défi en soi. Mais ce n’est rien en comparaison de ce qu’accomplissent les thru-hikers, ces gens (un peu fous, on va se le dire) qui parcourent la totalité de l’Appalachian Trail le long de la côte Est américaine, entre la Géorgie et le Maine. 3500 km! Du sud au nord ou du nord au sud, ils traversent les États-Unis à la vitesse de leurs semelles. On les croise le long du chemin, complètement absorbés par la tâche à accomplir, le regard parfois un peu hagard en raison de la fatigue et aussi d’une certaine obsession de marcher toujours plus vite, plus loin.

Au hasard des haltes, question de reprendre notre souffle ou de s’abriter durant une averse, on prenait quelques minutes pour leur demander pourquoi ils s’étaient lancés dans cette aventure. On a ainsi découvert un couple au début de la vingtaine qui a décidé de prendre une pause avant de s’engager dans le tourbillon de la vie. Un jeune homme qui a relevé ce défi avant de s’engager dans les Peace Corps. Un couple de Trois-Rivières à l’aube de la quarantaine qui prend une sabbatique pour vivre ce trip à deux (je les salue).

Et Phil.

Les voyages nous permettent de faire des rencontres extraordinaires, parfois éphémères, souvent enrichissantes. C’est ce qui s’est produit avec Phil. Je suis tombée sur ce personnage légendaire au hasard d’une recherche Google pour trouver un service de navette entre la fin de parcours, où nous avions laissé la voiture pour simplifier notre retour, et le point de départ.

Phil a parcouru trois fois (trois fois!) le AT du début à la fin. À 55 ans, il a réussi à le faire en trois mois et demi, ce qui est TRÈS rapide. La plupart des marcheurs n’y arrivent qu’en cinq à six mois. Il faut dire que Phil a été culturiste, marathonien et cycliste de compétition, il suffit de regarder ses mollets pour le constater! Aujourd’hui, accompagné de son chien Woody, il éclaire de sa sagesse les marcheurs en devenir et leur offre un refuge dans son petit coin de paradis, au début du parcours. C’est là qu’il nous a accueillies, les filles et moi, la veille du grand départ.

Ce personnage allumé et inspirant a donné une autre dimension à notre marche. Ses judicieux conseils et sa bienveillance nous ont accompagnées tout au long du parcours.

 

Four Canadian girls

Malgré l’absence de réseaux et de communications avec le monde extérieur sur cette portion du sentier, les nouvelles voyagent à la vitesse de l’éclair. Les gens nous interpellaient presque tous les jours en nous demandant : Are you Phil’s friends? Are you the Four Canadian girls? en référence à notre nom de trail. Il faut savoir que chaque thru-hiker se voit attribuer, durant son parcours, un surnom inspiré par ses aventures ou sa personnalité. Ça va du prosaïque (Always late for dinner) au poétique (Sweet Caroline) en passant par le nom de votre barre tendre préférée… Alors, dans ce sentier peuplé à majorité d’hommes solitaires et barbus – ça fait partie du trip de laisser sa barbe pousser durant le périple – Four Canadian girls, ça coulait de source. Il faut dire qu’on se démarquait un peu, pas mal, du lot. On a bien rencontré quelques filles solitaires ou en couple, mais on était la seule gang de filles. Avec nos petits kits de sport qui matchent, disons qu’on était loin des gars en bobettes (oui oui, on en a croisé), en kilt ou en t-shirts tellement usés qu’ils tenaient par la peur.

 

Manger sec (et bon)

Parce qu’un des aspects les plus importants (et tripants) du projet réside dans la préparation, rien n’a été laissé au hasard pour cette expédition. En prenant en considération le nombre de kilomètres à parcourir par jour, le poids du sac porté sur notre dos est vite devenu notre obsession. Nous avons donc investi dans du matériel ultra léger (tentes, matelas de sol, sacs de couchage), puis notre fixation s’est ensuite portée sur la bouffe. Parce que cette portion de l’AT étant la plus sauvage, il n’y a aucun moyen de faire des provisions en cours de route. Sauf si on a eu la chance de rencontrer Phil, qui nous a offert une option de ravitaillement à mi-chemin en nous donnant accès à une boîte sécurisée où il a déposé nos rations pour les quatre derniers jours. Pas besoin de préciser qu’on y a glissé une bonne bouteille de vin pour se donner un peu de courage au cours des derniers jours!

Cela nous a donc permis de partir avec des rations pour «seulement» cinq jours complets. Mine de rien, cinq jours de déjeuners, dîners, soupers et collations – on mange beaucoup en randonnée – c’est lourd. Vraiment lourd. Sans compter l’eau, qu’on filtrait lorsqu’on croisait des cours d’eau.

Comme tout s’achète dans ce bas monde, il est possible de se procurer de la nourriture déshydratée dans tout magasin de sport qui se respecte. Ça va du Pad Thaï au pâté chinois : il y en a pour tous les goûts, ça fait la job, mais c’est aussi plutôt cher. Et un peu fade. Parce que nous sommes des cuisinières averties (et aussi parce qu’on aime ça), nous avons décidé de tout préparer nous-mêmes.

Nous avons donc laissé aller notre créativité et fait fonctionner sans arrêt le déshydrateur pendant près d’un mois pour concocter des repas qui ont fait saliver les autres marcheurs et qui ont comblé nos appétits féroces : couscous marocain, risotto aux champignons, spaghetti, chili mexicain, etc. Même le petit gruau du matin était agrémenté d’une compote de pommes déshydratée pour lui donner un petit oumpf.

Rien n’était plus agréable que de se retrouver ensemble autour de nos repas, matin, midi et soir, et de faire le compte-rendu de nos aventures : petites blessures, paysages, rencontres… Et de se rappeler les millions de sujets abordés en marchant, de la politique internationale au hockey en passant par la restauration du plancher pelvien et les chiens de la reine d’Angleterre. La bouffe rassemble les gens, même dans les coins les plus reculés d’Amérique.

 

Le petit bonheur

Au fil de cette marche, j’ai découvert une communauté de gens vraiment sympathiques, des paysages à couper le souffle, une nature sauvage qui remet les chakras aux bonnes places. J’ai eu peur de croiser un ours (un peu), j’ai mangé comme un ogre, j’ai maudit la pluie et j’ai dormi comme un loir. J’ai constaté que j’étais plutôt en forme physiquement, et que j’avais surtout beaucoup d’endurance comme humain, comme femme. Que la force mentale permet de vaincre pas mal toutes les douleurs. Et que le sentiment d’accomplissement vaut toutes les ampoules du monde.

J’ai aussi pu constater que de vivre en autarcie pendant quelques jours dans le bois, de ne se concentrer que sur le nombre de kilomètres à parcourir, la prochaine pause et la douche dans la rivière le soir venu, ça fait un bien fou.

Disons que ça remet les priorités aux bonnes places quand on rentre dans son condo sur le Plateau.

envie d’en savoir plus? 

Quelques liens utiles si vous avez envie de tenter cette expérience incroyable :

1000 mile wilderness.info

Baxterstatepark.org

Sectionhiker.com

 

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3 Commentaires

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