Percé, l’hiver

Pour un récent reportage, je suis allée passer du temps à Percé, hors saison. Certains pourraient dire que c’est tout près de chez moi. Ils n’auraient qu’à moitié raison: le village le plus connu de la Gaspésie est tout de même à 400 kilomètres de Matane, mais ce n’est pas une raison pour ne jamais l’avoir vu sous la neige!
Texte et photos Marie-Eve Campbell



La Gaspésie, c’est magnifique. La voir en hiver, dénudée de feuilles et de touristes, c’est poétique. Ça vient me chercher dans les tripes. La beauté aux angles durs de son littoral devient rude: vent mordant, neige qui pince le visage, conifères pointus qui contrastent avec le blanc, route déserte. Et le bleu de la mer, ce bleu froid, changeant, profond, unique… Ce bleu qui fait partie de mon identité, autant que le blanc de l’hiver.

Shirley Patry, une autrice de Baie-des-Sables, a décrit merveilleusement le Saint-Laurent en hiver: «Les verts translucides des sels saisis trop vite par le blizzard, les rouilles du varech arraché, les frottis de sable marbrent ou tavellent des pans de banquise. Et une lumière pure, dure à en blesser les yeux, calque le moindre relief d’ombres bleues sur la dominance blanche. Mais les perspectives s’affaissent […] tout disparaît quand la poudrerie se lève. Monde opaque, né d’un vent venu de loin […] qui cesse de racler le sol pour enfin accumuler les neiges, qui dresse devant lui le mur des limbes, aux reflets perlés malgré la violence.»

 

 

Gaspé (Gespeg), un nom d’origine micmac, signifie «le bout de la terre». Jamais on ne le ressent autant qu’en ces temps froids et solitaires de l’hiver. J’étais là avec une amie, mais on avait toutes les deux l’impression d’être seules au monde. Et heureuses. La solitude peut être une bonne chose lorsqu’on la désire.

Percé et ce coin de la Gaspésie forment presque un pays à part entière. Je vis à la frontière du Bas-St-Laurent, mais quand j’arrive ici, je suis dépaysée, je suis ailleurs. Imaginez quand on arrive de Montréal… Mais si Percé est au bout du monde, c’est aussi un endroit vivant, intense. Tout ce vent, cet horizon et cet éloignement semblent nous pousser à vivre une vie où l’on peut se construire comme on l’entend, être entièrement soi et vivre selon ses convictions, sans compromis. Sauf, peut-être, celui de l’exil, un peu.

 

Ainsi, plusieurs entrepreneurs et autres esprits créatifs ont choisi de s’installer ici pour monter des projets fous et beaux. Des gens qui choisissent d’aller au bout de leur idée, avec vigueur et conviction, ça me touche beaucoup. Rencontrer des distillateurs qui ne produisent que de petites quantités de spiritueux fins et ancrés dans leur territoire, ça m’impressionne. Savoir que quelqu’un opère une microbrasserie dans le fond des rangs simplement pour faire de la vraie bonne bière comme il l’aime, ça m’inspire. Discuter avec une sérigraphiste qui illustre des couvertures de livres, qui a voyagé de par le monde et qui a choisi de s’ancrer à Percé avec sa famille et sa petite boutique, ça me fait rêver. Aller souper dans un restaurant ouvert l’hiver et fermé l’été, parce que les proprios veulent une vie saine en servant les gens du coin avant tout, ça me charme sur le coup.

Un jour, je vous parlerai de Mont-Louis, un autre village gaspésien qui m’épate. Pour l’instant, voici quelques adresses à Percé et dans les environs. À votre tour d’aller leur rendre visite. Pourquoi pas cet hiver?

À visiter

La Société secrète. Une distillerie artisanale installée dans une ancienne église anglicane.
Brasserie Auval. Une ferme-brasserie de renom. On s’arrache leurs bières partout au Québec.
Le Café du centre. Un restaurant suisse ouvert l’hiver et souvent fermé l’été.
Raoul et Simone. Une petite boutique de designers québécois triés sur le volet.
KG céramique. Pour découvrir une céramiste autodidacte aux mille talents.
Pub Pit Caribou. Un pub local populaire, qui a récemment inauguré une succursale à Montréal.
La Vieille Usine. Une salle de spectacle estivale, aménagée dans une ancienne usine de transformation de morue.

 

À écouter

Lectures et musique pour faire rêver sur les thèmes de l’éloignement et de l’hiver:

La route du lilas, Éric Dupont
La métaphysique des points cardinaux, Shirley Patry
Winter 1, sur l’album Recomposed by Max Richter: Vivaldi – The Four Seasons

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