Une femme, ailleurs: María Burgaz, de Madrid

S’entretenir avec María fait l’effet d’une méga dose de vitamines. Rencontre avec une artiste peintre exubérante, au dynamisme contagieux, qui vit intensément dans le moment présent. Comme elle le dit si bien, «j’ai la chance d’être qui je suis, d’être où je suis!».

Propos recueillis par MJ Desmarais  Photos Chantale Lecours



Qui es-tu, María?Je peins depuis toujours. Je suis mère de deux adolescentes qui traversent cette phase où elles ont toujours le nez dans leur téléphone, et je suis, oui, mariée avec leur père: nous formons donc la famille espagnole typique! J’habite Madrid, j’aime passionnément ma ville. Je suis une personne heureuse qui voit le côté positif des choses, du moins je le crois.

Un parti-pris pour la couleur
J’ai commencé à peindre de façon classique, à l’huile. Au fil du temps, j’ai ajouté l’acrylique, des collages de magazines ou de journaux. Ce que j’aime, maintenant, c’est qu’on peut apprécier ma peinture différemment selon qu’on l’observe à distance, sur le Web ou de près. L’expérience est très différente – les variations de textures, les volumes causés par le collage, l’acrylique, l’émail ou même la broderie ne sont perceptibles qu’à proximité. Toutes ces techniques rendent mes tableaux plus riches, plus vibrants, plus vivants.

Ce qui sort de moi est toujours très coloré. J’ai déjà essayé de baisser le ton, de peindre des choses plus simples, plus sobres, de ne pas exprimer autant de choses à la fois. Impossible! Mes tableaux sont comme ma personnalité, mes vêtements, ma maison – tout est haut en couleur. Mon travail est le reflet de qui je suis. Il est aussi le reflet de qui j’ai été et de qui je veux être, il ne pourrait en être autrement. Je suis le produit de l’époque dans laquelle je vis et j’évolue, et aussi de celle où mes parents ont vécu et évolué, et tout ça se télescope dans le passé, dans ce qu’on a appris en lisant des livres, en fréquentant des musées.

Une exubérance typiquement espagnole – et tant pis pour le cliché!
Les clichés sont souvent fondés sur une réalité et je suis convaincue que l’endroit d’où l’on vient, l’endroit où l’on vit, ça compte. Tous les peuples ont leur côté sombre, mais oui, en Espagne, il y a beaucoup de gens heureux. Pourquoi? On vit au soleil, on aime profiter de la vie, et, si on a une pièce de monnaie dans le fond de notre poche, on l’utilise pour aller prendre une bière ou un verre de vin avec des amis. Cet état d’esprit influence aussi mon travail.

L’inspiration, partout
Je suis toujours en état d’alerte pour saisir, avec mes rétines et mon téléphone (avant, c’était avec mon appareil photo!), tout ce qui se produit autour de moi. Je photographie une vitrine, le bus qui passe, des gens, le bouquin que je lis, j’enregistre les sons. Je ne veux pas que les détails m’échappent, je ne veux pas oublier. Je m’inspire et me nourris des images et des messages transmis dans la vie quotidienne pour ensuite les interpréter dans mon travail. C’est ce qui me fait avancer.

Gagner sa vie en étant peintre
C’est vraiment difficile. Mais c’est possible, bien sûr, plusieurs artistes y arrivent. Je considère que je suis au beau milieu de tout ça. Un de mes amis m’a dit que j’étais une «artiste familiale» parce que mon travail est abordable, et que les gens de la classe moyenne peuvent s’offrir mes tableaux. Certaines personnes me disent que je devrais augmenter mes prix. Je préfère travailler très fort – c’est ce que je fais! – et voir mes œuvres exposées un peu partout, dans des galeries et sur Internet.

Une chose est certaine: on ne peut pas gagner sa vie en restant enfermée dans son studio, même si on a un talent fou. Il faut s’activer, sortir, entretenir des contacts. Et puis il faut savoir apprivoiser les hauts et les bas, apprendre à vivre quand on a peu de rentrées d’argent et penser à faire des réserves lorsque tout va très bien.

Être une femme en Espagne, maintenant
Il y a de plus en plus de femmes au pouvoir dans notre gouvernement, mais le plafond de verre est encore là et on n’est pas arrivées à l’égalité salariale. Il y a aussi, malheureusement, de la violence conjugale. J’ai la chance de ne pas vivre ça: dans ma famille, les femmes ont toujours été les égales des hommes. Le mouvement féministe est encore et toujours nécessaire, nous devons manifester pour faire valoir nos droits.

Un autre grave problème qui touche l’Espagne en ce moment, c’est le vieillissement de la population. Les gens ne meurent pas! Il n’y aura pas de relève pour les soutenir. Les jeunes, de leur côté, font face à des problèmes financiers, ils ont du mal à amasser assez d’argent pour s’acheter un logement et repoussent le moment d’avoir des enfants parce qu’ils n’ont pas de soutien. Ni de la part du gouvernement ni de la part des grands-parents, qui sont trop âgés pour les aider. Les deux parents doivent travailler – c’est la norme – et ils doivent faire face à des horaires difficiles et relever de sérieux défis pour trouver un service de garde. Tous les partis politiques tentent de régler ces problèmes.

L’avenir de notre planète nous préoccupe également – c’est très important ici! Nous participons au mouvement mondial initié par cette jeune femme suédoise, Greta Thunberg, et il y a beaucoup de manifestations dans les rues de Madrid les vendredis!

La vie, à Madrid
Je suis née ici, je vis ici, j’adore Madrid. C’est une grande ville qui n’en est pas une parce qu’elle est construite à l’échelle humaine. J’habite dans le quartier très ancien et très typique de Chamberí, tout au centre, dans un appartement des années cinquante. J’ai un tout petit studio juste à côté de chez moi. J’aurais pu avoir un plus grand local, mais j’ai choisi la qualité de vie. Je peux aller partout, à pied ou en vélo, très rapidement. J’adore ce milieu urbain, où il y a des gens en tout temps dans les rues. Je ne peux pas imaginer vivre dans une de ces villes fantômes aux rues désertes, où il faut prendre l’auto pour faire ses courses dans un centre commercial.

Madrid est magnifique: les immeubles anciens ont été restaurés, et je me surprends parfois à l’admirer comme une touriste. Ce matin, j’ai fait une promenade dans un quartier que j’aime, où il y a des marchés, des bars, des cafés, des gens partout et je me suis dit «comme c’est beau!» Je suis toujours épatée, toujours émerveillée.

Le climat est parfait parce que nous avons quatre saisons et qu’il fait soleil toute l’année, même en plein hiver. On met des gants, un manteau, on va dehors, on en profite. L’été, quand il fait trop chaud, nous passons du temps dans notre petite maison de montagne, où il y a une piscine. Elle est à seulement 60 km de la ville, mais ça fait toute la différence: les nuits sont fraîches, nous pouvons dormir sous une couverture. En août, nous partons au bord de la mer dans le nord du pays, à Castro-Urdiales. Les paysages sont magnifiques, les plages sont spectaculaires et moins bondées que dans le Sud, la cuisine est fantastique et les prix sont raisonnables. Nous y retournons chaque année.

Portrait d’une journée type
Je me lève tôt, vers 7h30, et après, je vais au gym. Tous les jours. Après la douche, je travaille au studio jusqu’à l’heure du lunch, que je prends à la maison vers 14h30, avec mes filles. Après, je regarde un peu de télé, je fais peut-être la sieste, et ensuite soit je retourne au studio, soit je vais voir une exposition, soit je fais des trucs de mère, comme faire les courses au supermarché! Très souvent, je rencontre des amis pour prendre une bière ou deux. Et puis je retourne à la maison pour souper en famille, vers 21h.

J’anime aussi des expériences Airbnb, où je fais découvrir à des visiteurs des galeries d’art contemporain hors des sentiers battus. Après, on passe à mon studio prendre un verre de vin. J’adore ça. Les gens me demandent souvent de leur refiler des adresses «non touristiques» pour les tapas, le flamenco. Je leur réponds qu’il y a des touristes partout, même dans les bons endroits que je fréquente, et que c’est bien comme ça!

Il y a beaucoup à faire à Madrid. Je tiens une liste de trucs à découvrir, à voir, à expérimenter, que je n’arrive jamais à finir. En fait, j’ai toujours quelque chose de nouveau à ajouter! Je n’arrête jamais, je pense toujours au prochain projet. C’est mon quotidien. Et ça me rend heureuse!

María Burgaz organise des expériences Airbnb, où elle nous fait visiter des galeries d’art et nous invite à prendre un verre de vin à son studio. Pour en savoir plus – et la rencontrer sur vidéo, c’est ici.

Pour en savoir plus sur María: mariaburgaz.com

 

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