Une femme, ailleurs: Sandra, d’Évora, au Portugal
Nous avons rencontré Sandra au hasard d’un road-trip lorsque nous nous sommes attablées à son mini restaurant-épicerie de la charmante ville d’Évora, dans l’Alentejo. Réaction: «On veut sa vie!» Elle a accepté de nous la raconter, du moins en partie!
Propos recueillis par MJ Desmarais Photos Maude Chauvin
La décision de se lancer en affaires
Pendant douze années, j’ai travaillé dans la vente automobile, un métier normalement réservé aux hommes – tu sais, j’ai toujours fait le travail d’un homme! Les années ont passé et j’ai commencé à en avoir assez de ce travail difficile où il y a beaucoup de pression. Et puis, un jour, ma fille est tombée malade et j’ai dû m’absenter pendant presque un mois pour prendre soin d’elle. À mon retour, la compagnie, Renault (tu peux l’écrire), a mis fin à mon contrat. Une période difficile dans ma vie. Mais j’avais toujours rêvé d’être à mon compte alors j’ai décidé de me lancer.
Le meilleur de l’Alentejo
J’ai grandi dans un petit village à 20 km d’Évora. Mes parents cuisinent très bien et ont toujours utilisé les extraordinaires produits locaux de notre région, l’Alentejo. Mon père faisait le pain, tuait le cochon… C’est à cause de cette influence – et aussi parce que j’ai toujours aimé cuisiner et manger – que j’ai décidé d’ouvrir une petite épicerie où j’allais mettre en valeur les meilleurs produits de la région. Entre autres, le fromage d’Évora, notre excellente huile d’olive, le pain, si important chez nous, les magnifiques charcuteries, le vin local… Même si on n’est pas au bord de la mer, j’offre aussi le thon, les sardines et les fruits de mer de l’Algarve, qui n’est vraiment pas loin.
D’épicière à restauratrice, il n’y a qu’un pas (et quatre tables)
Presque tout de suite, les gens qui fréquentaient l’épicerie ont commencé à me demander de leur servir des repas parce qu’ils avaient envie de goûter ces produits sur place. J’ai trouvé l’idée bonne et j’ai commencé à servir des plats sur les tables à l’extérieur. Des choses simples, comme des salades préparées avec des légumes biologiques, des plateaux de charcuterie et de fromages avec de la confiture, du pain grillé et, bien sûr, du vin de petits producteurs… Rien n’est compliqué, tout est très bon.
La vie à Évora
Évora est une ville historique avec des monuments incroyables, un endroit où il n’y a pas trop de touristes, sauf en été, et où l’on peut s’installer à une table sur un square, prendre un verre de vin à l’ombre d’un arbre, découvrir la cuisine locale… Évora, c’est tout près de Lisbonne et de l’Algarve, au sud du pays. C’est un endroit où il fait bon vivre. Le boom de l’industrie touristique nous amène pas mal de visiteurs l’été – et beaucoup nous viennent du Canada, particulièrement du Québec. C’est très bon pour les affaires et, en passant, on trouve que les Québécois sont conciliants, bien renseignés. Mais mon commerce ne s’adresse pas seulement à eux, sinon je ne survivrais pas. Les gens du coin visitent mon épicerie, mangent à ma table, prennent un petit-déjeuner, un lunch ou un verre ici. Ils aiment beaucoup le fait que je vende des produits en vrac – ils achètent ce dont ils ont besoin, c’est tout.
Le bonheur à 40 ans
Je suis une femme heureuse. Je vais avoir 40 ans dans quelques jours, c’est un bon âge pour moi. J’essaie d’être heureuse en tant que mère, mais aussi en tant que femme. Parce que j’ai besoin d’avoir mon temps à moi pour essayer de me rappeler ce que c’est que d’être une femme! J’aime aussi donner du bonheur – et mon travail exige ça de moi. La bonne cuisine, ça rend les gens heureux. Et si tu n’es pas heureuse, tu ne peux pas cuisiner de bons plats. Les gens qui mangent à mon restaurant savent que je suis de bonne humeur, que j’ai cuisiné avec plaisir, avec une certaine générosité. Sinon, ça se sent. Il y a des endroits à Évora…
Être seule (ou presque) à la tête de son entreprise
C’est difficile, au Portugal, parce que nous payons beaucoup de taxes mensuelles. Il pleut ici depuis un mois, ce qui est inhabituel (l’entrevue a été faire en mars), les gens restent à la maison pour cette raison, et je vais quand même devoir payer mes taxes. C’est une mauvaise chose. Tous les soirs quand je me couche, je pense à mon entreprise. Même chose au réveil. Je me suis lancée toute seule en affaires, sans l’aide de personne, et ça n’a pas toujours été facile. Heureusement, j’ai maintenant Maria avec moi, elle est mon bras droit et je n’arriverais pas sans elle. J’ai beaucoup appris depuis l’ouverture de mon commerce il y a deux ans, je sais quoi faire pour faire augmenter mon chiffre d’affaires. Alors nous allons bientôt fermer pendant deux semaines pour effectuer des rénovations et agrandir. C’est important, parce que je dois faire vivre deux personnes, Maria et moi, et que c’est une grande responsabilité. Alors je m’investis et je travaille sans compter les heures.
Être seule (ou presque) à élever son enfant
J’ai été mariée, je ne le suis plus, j’ai un copain, un designer graphique. J’ai longtemps vécu avec le père de ma fille, mais nous nous sommes séparés avant sa naissance. Il est norvégien et il est reparti vivre là-bas, alors ma fille, qui a 11 ans aujourd’hui, je l’ai élevée seule. Bien sûr, mes parents m’ont beaucoup aidée, ils habitent à 20 km et j’ai pu compter sur eux. Mais ça a tout de même été un défi. Est-ce que c’est l’idéal? Non. Lorsque j’ai décidé de devenir une mère, je voulais que ce soit avec un père à mes côtés pour m’aider; ce n’est pas arrivé et je me suis débrouillée. Le père de ma fille est aujourd’hui un ami, et Leonor l’aime, c’est ça qui compte.
La force des femmes
Tu sais, je viens d’une lignée de femmes solides, qui travaillaient fort tout en élevant beaucoup d’enfants. Dans l’Alentejo, les femmes sont très solides. Elles cueillent les olives, les tomates, le melon… C’est un travail dur, les heures sont longues. Oui, le statut des femmes a considérablement changé au Portugal au cours des dernières années. Bien sûr, tout a commencé avec le 25 avril (la Révolution des œillets, en 1974). Les femmes sont sorties de la maison pour aller à l’université, travailler, démarrer en politique, acheter des maisons. Les hommes ont changé, ils n’avaient pas le choix. Et ça continue à évoluer. Chez nous, les femmes sont respectées et on se sent toujours en sécurité. Je vis seule avec ma fille, et quand je vais au cinéma le soir, il m’arrive de la laisser seule, parce que c’est normal ici.
L’avenir, maintenant
Mon rêve est de faire la même chose, mais en mieux. Je nous vois, Maria et moi, travailler encore ensemble à la boutique, et je veux grandir avec mon commerce, m’améliorer sans cesse. Je veux aussi avoir plus de temps libre pour voyager, pour partager des choses avec Leonor. Mon rêve, pour ma fille, est qu’elle soit heureuse. C’est simple, mais c’est ce que je lui souhaite. Cet automne, elle va quitter le Portugal pour aller étudier en Norvège et vivre avec son père. Ce sera un changement difficile pour moi, mais je veux le meilleur pour elle. C’est une opportunité tellement incroyable d’aller étudier dans un autre pays, de vivre ailleurs, de découvrir une autre culture. C’est aussi très important pour elle de vivre avec son père. C’est Leonor qui veut ça, à 100%, et c’est une bonne décision. En fait, si j’avais eu cette opportunité à cet âge, j’aurais aimé que ma mère me laisse en profiter. Je veux ce qu’il y a de mieux pour elle et, si elle est heureuse, je suis heureuse. Et puis j’aurai plus de temps à consacrer à mon travail!
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Pour passer chez Sandra
Merceria do Largo
Largo Álvaro Velho no 6
Évora, Portugal
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Un mot sur Évora
À l’est de Lisbonne et au nord de l’Algarve, Évora est la capitale de l’Alentejo. C’est une cité médiévale où l’on peut admirer une cathédrale et des cloîtres à l’architecture imposante; on peut aussi reculer plus loin dans le temps en y visitant le Templo Romano, construit au 2e ou au 3e siècle, ainsi que des bains romains. Mais Évora est aussi une ville universitaire qui déborde d’énergie. On y mange très bien, et nombre de restaurants y servent la délicieuse cuisine alentejane arrosée de vins locaux.